Merci aux experts de me pardonner les approximations et analogies requises pour cet exercice.
Qu’est ce que le carry trade ?
Sur le Forex nous traitons des devises où chaque devise n’a pas de valeur absolue en soit, mais uniquement par rapport à une autre devise. Nous parlons donc d’un taux de change entre deux devises A/B (ex: EUR/USD, GBP/ USD, EUR/GBP etc)
La paire la plus tradée est l’EUR/USD. La première devise, EUR celle de gauche, est la devise de Base, la seconde, USD celle de droite, est la devise de cotation.
Lorsque j’achète de l’EUR contre USD, cela revient à deux transactions simultanées : j’achète de l’euro et je vends du dollar. L’analogie est celle du touriste américain qui arrive à l’aéroport Charles de Gaulle et qui se sépare de ses dollars pour acquérir des Euros.
A l’inverse lorsque je vends de l’EUR contre USD, je me sépare des Euros pour acquérir des dollars.
Sur le Forex (et autres marchés financiers), on n’échange évidemment pas des billets, on échange des « positions » qui sont en quelque sorte des promesses, qui seront à honorer plus tard, lors de la fermeture de la position, et qui correspondent à l’opération opposée de celle conclue à l’origine. Si j’ai vendu, j’achète et vice-versa.
On sait également que les brokers forex proposent des leviers phénoménaux : si j’ai investi 1000€ sur mon compte, je peux acheter ou vendre 10, 30, 50, 100 milliers d’euros !
Cette notion de leviers à portée de click est importante car c’est grâce à cela que le carry trade pourrait passer en première lecture pour une solution magique (ce qu’il n’est pas).
Le deuxième aspect important pour comprendre le principe du carry trade, c’est que la détention d’une devise peut, ou pas, rapporter de l’argent !
Le taux d’intérêt de x% pour une devise est défini par chaque banque centrale qui gère sa monnaie. La banque centrale européenne gère l’euro, la FED le dollar américain etc…
Voici une liste actuelle des taux de rémunération des devises (20 juin 2017):
Monnaies majeures: Euro 0,00% (depuis le 10 mars 2016), USD 1,25% (depuis le 14 juin 2017), GBP 0,25% (depuis le 4 aout 2016), JPY -0,10% (depuis le 29 janvier 2016), CAD 0,50% (Depuis janvier 2015), CHF -0,75% ! (depuis le 15 janvier 2015), CNY 4,35% ( oct 2015)
Monnaies exotiques à fort taux d’intérêt: TRY 8,00% (depuis le 24 novembre 2016), ZAR 7% (janvier 2016), BRL 10,25% (Mai 2017), RUB 9% (Juin 2017)
Ce sont des taux annuels.
Le principe du carry trade s'appuie sur les différences de taux d'intérêt des monnaies. Le terme « carry » signifie en français « porter », ou exprimé différemment « conserver/détenir » (une monnaie).
Exemple sur EUR/USD, dont les taux sont respectivement 0,00%/1,25%. Si je vends EUR/USD, nous avons vu que cela revient à se séparer de la devise qui rapporte 0% pour acquérir la devise qui rapporte 1,25%. On comprend alors intuitivement que c’est un échange favorable.
Et qu'un effet induit, automatique, de tout ordre Forex est donc de pratiquer aussi un échange de taux !!! "échange" en anglais est un "swap".
Le swap de taux est donc consubstantiel à toute activité sur le Forex.
Un peu comme le Sieur Jourdain de Molière qui pratiquait la prose sans le savoir…
Concrètement si je shorte 100 K€ d’EURUSD j’obtiendrai chaque nuit jusqu’à 3,4€ (1,25% de 100K=1250 Euros sur une année de 365 jours, soit 4,7€ par jour ouvrable). Attention cela dépend de la politique plus ou moins redistributive/généreuse de votre broker ! (Vérifier que le calcul du broker choisi est transparent sur ce sujet).
En résumé si A/B a des taux faible/élevé, il faut vendre. A l'inverse si taux élevé/faible il faut acheter pour obtenir une rémunération quotidienne. Si on fait l’inverse, c’est alors un coût quotidien.
Petit apparté à ce stade ; Non, la rémunération n’est pas de l’argent qui est crédité sur votre compte de trading. Cela prend la forme d’une évolution du niveau de votre prix d’achat/vente initial. Exemple : j’ai vendu hier après-midi à 1,11900, dans la nuit suivante, mon prix de vente évolue à 1,11904. A l’inverse, si j’ai acheté à 1,1190, le lendemain mon nouveau prix est 1,11905. (on notera qu’il y a le plus souvent une dissymétrie +0,00004/ +0,00005, le broker doit vivre également….). On comprend que si le prix initial monte dans tous les cas, c’est favorable si on est à la vente et défavorable si on est à l’achat. Et cet argent ne deviendra réel qu’au moment du débouclage de la position. On retiendra que l’on assiste alors à une lente dérive de sa position initiale, dans un sens qui nous sera favorable ou défavorable.
De toute évidence, plus le différentiel de taux est élevé, plus la rémunération overnight le sera également.
Avec EUR/USD on a 0/1,25 mais les plus attentifs auront noté qu’avec CHF/BRL (Brésil) on passe à un ambitieux -0,75/10,25, soit potentiellement 11% de rémunération. Et c’est là que les plus téméraires et inconscients se disent "avec un levier de 50 je vais passer à 550%, finger in the nose…" Bon,hélas je dois briser immédiatement votre élan arithmético-émotionnel, désolé mais nous allons voir pourquoi ceci est une désespérante chimère.
Déjà il faut trouver le broker SOLIDE ET FIABLE qui propose cette paire CHF/BRL (je ne rentre pas dans les détails mais c’est très rare), ensuite il faut regarder quel est le spread (écart entre cours d’achat et cours de vente = coût de la transaction) appliqué lors du passage de l'ordre initial. En effet, si on a un spread de 30 PIPs alors que la rémunération overnight est d'1PIP, on paye déjà 6 semaines de rentabilité attendue, ce n'est alors qu'à partir de la 7ème semaine que l'affaire pourrait devenir rentable.
Je dis bien pourrait car il y a un autre phénomène, encore plus conséquent et fondamental: on peut légitimement se poser la question de la raison d'un taux très élevé !!! Eh oui, pourquoi la Turquie, le Brésil, l'Afrique du sud et la Russie ont de tels taux ??? est-ce par hasard ?
En bref, une banque centrale monte ou baisse ses taux pour contrer ou initier des effets économiques globaux.
Les taux sont montés quand la monnaie locale perd énormément de valeur (ce qui a pour conséquence de renchérir les biens importés et créer de l'hyperinflation locale), en gros c'est à dire que l'économie est vacillante et a besoin d'attirer des capitaux ou d'éviter qu'ils ne fuient le pays.
Le pays est en manque d'attractivité, il réhausse le taux d'intérêt de sa monnaie pour tenter de sauver son économie.
Mais c'est un sport qui n'est pas sans danger... car entre autres, cela tue aussi les investissements locaux, donc l'économie locale.
A retenir : taux élevé = économie chancelante ET valeur de la monnaie très volatile
Les taux sont donc quelque chose d'extrêmement complexe à gérer pour une banque centrale. Un peu plus ou un peu moins et on engage des conséquences bénéfiques/perverses diverses et sur des temps de cycles différents. On peut dire que c'est en permanence un serpent qui se mord la queue.
Ce qui nous mène au risque MAJEUR: les variations de la paire (volatilité) !
Sur TRY, ZAR, RUB etc... on peut être exposé à des variations très importantes, d'origine économique, du genre -30% ou +30% en un mois. (Pour mémoire -10% ou +10% en un trimestre sur EURUSD est énorme).
Concrètement, si on investit 2,5K€ pour vendre un lot de 100K sur EURTRY (levier 40), on pourrait en première instance se réjouir de gagner jusqu’à 22€ par jour calendaire sans rien faire… On pourrait même (allons y franchement) envisager emprunter auprès d’amis pour monter à 25K d’investissement et une position vendeuse d’EURTRY de 1 Million d’Euros afin d’obtenir 220€ du lundi au dimanche, jours fériés compris.
Or (là, il faut être super attentif) disons que le lendemain EUR/TRY monte de 2,5%, zut, on a donc perdu 2,5K€... soit la totalité de notre investissement. En une journée Goodbye le super investissement, à la place nous sommes ruiné en 24h chrono...
La faute à l’abus de levier + la volatilité des monnaies à taux élevé
Conclusion simple: le carry trade qui s'appuie sur les swap de taux ne s'adresse qu'aux investisseurs avisés et ayant les reins solides. Il faut des comptes bien dotés qui travailleront en leviers inférieurs à 4, voire en sous levier. En d’autres mots, le carry trade rapporte peu et en fait beaucoup moins que la véritable activité de trading.
Sauf à très bien connaître l'économie et la politique locale des pays à taux élevé, c'est un investissement de type loterie, sauf qu'ici l'effet est inverse, on risque beaucoup pour gagner peu.
Ainsi pour la plupart des lecteurs, il me semble qu'il serait avisé de simplement fuir cette idée comme la peste.
Nous avons néanmoins compris que le carry trade était par essence toujours inclus dans toute transaction sur le Forex (la seule solution pour y échapper est de trader des paires à taux d'intérêt quasi identiques comme EUR/JPY). Tout swing trader qui conserve ses positions au-delà d’une journée a normalement déjà constaté cette évolution du prix initial des positions, cela ne concerne pas les scalpers qui ouvrent et ferment une position en quelques secondes ou minutes et dont le carnet d’ordre est vide en fin de journée (idem pour les intraday). On aura noté qu’il s’agit de variations comptées le plus souvent en fractions de PIP, face à une évolution du cours sur une journée qui peut être de 50, 100, 200 PIPs, voire plus. A cette échelle, on voit donc que l’effet carry trade est très faible face à l’évolution des cours. Il ne prendra du sens que pour une détention de position longue (semaines ou mois) sans levier (ou très faible), mais quasiment jamais comme objectif de trading en soi.
Si des messages glanés sur internet peuvent laisser penser le contraire, ils sont illusoires et abusifs.
There is no such thing as a free lunch (Milton Friedmann, prix nobel d’économie)