Je suis enseignant dans le supérieur (après l’avoir été 20 ans dans le secondaire) et j’évolue dans le milieu universitaire des sciences molles : là où l’on a des idées auxquelles on croit dur et des cheveux longs (je ne parle que des hommes). Dans ce cadre très épanouissant, prononcer le simple mot "libéral" met chacun en position d’attaque, prêt à mordre aux mollets l’ignoble crapule tapie derrière ce mot honni. Tous sont antisystème et... fonctionnaires. Moi je le suis aussi ‒ à ma manière ‒ mais j’aspire depuis plusieurs années à me dégager de cet environnement qui me pèse de plus en plus. En fait, d’autant si loin que je me souvienne, j’aspire à travailler à mon compte.
Lorsque j’étais étudiant, j’ai eu plusieurs expériences réussies de cet ordre (expertise et organisation), mais j’ai un énorme défaut : je suis gentil. J’ai donc fait plaisir à mes parents qui ont été rassurés de me voir retourner téter le lait de nos vieilles institutions.
Mais quid de la bourse et du trading ?
Alors non, je ne suis résolument pas un débutant ! J’ai commencé à « boursicoter » en 1997 avec un compte chez BNP. J’ai enregistré mes premières plus-values sur l’action BIC. Je me souviendrai toujours de la sensation euphorique d’avoir gagné presque 500 francs (75 euros) en n’ayant rien fait de plus que de choisir « acheter » sur mon Minitel, puis « vendre » la semaine suivante. La machine à construire des châteaux en Espagne s’est aussitôt mise en branle ! J’ai continué, au grand dam de mon entourage qui se demandait quel démon me possédait. On m’a dit que mon grand-père communiste se retournait sans cesse dans tombe, pris d’une étrange insomnie post-mortem... Mais je ne m’inquiétais pas pour lui, il avait l’éternité pour récupérer.
Puis je me suis enhardi, j’ai lu les quelques livres qu’on trouvait alors sur l’AT. Je me suis offert un logiciel un peu miteux du nom de « Winix » (non, rien à voir avec l’ourson) ! Mais je ne critique pas. Pour l’époque et pour ceux qui n’avaient pas les moyens d’acquérir Metastock ou Trade Station c’était déjà correct, avec mise à jour des cours en End of day.
J’ai acheté, j’ai vendu avec la fraîcheur innocente du novice qui se voyait déjà à la tête d’une fortune boursière prochaine. Il faut dire que le contexte aidait : bulle internet grossissant à vue d’œil, introductions de dotbidon.com prenant 400 % le jour de leur première cotation, actions qui explosaient à la hausse dès que le patron prononçait le mot « web », même si son cœur de métier était les égouts (Générale des eaux en voie de vivendisation). air liquide et Bic étaient devenus des tocards. Pas de portail multiservice ? Beurk ! Il n’en demeurait pas moins que mon compte Cortal (je n’étais plus chez BNP) grossissait assez vite grâce au « règlement mensuel » et au levier 5 qu’il offrait.
J’étais passé de 10 000 euros (la bourse était passée à l’euro dès janvier 98, je crois) à près de six fois plus en deux ans et demi. Logiquement, je me voyais millionnaire ‒ en francs s’entend ‒ à horizon de 2 ou 3 ans. Mes sous se multiplieraient comme les petits lapins de fibonacci !
Je découvrais également ces années-là (mais je me trompe peut-être d’un ou deux ans) l’ATDMF qui promettait de belles plus-values à ceux qui maîtriseraient les T1 et T2... Je ne moque pas. Cahen a produit un travail intéressant, dont certains aspects restent exploitables.
Puis est arrivé 2001, et là, j’ai moins rigolé. Je me suis vautré, banané, planté, étalé et plus encore... ! délité serai-je tenté de dire. J’ai perdu mon capital et mes économies jusqu’au dernier euro. Tous mes petits soussous de prof et ceux d’une petite avance sur héritage. Enfin presque, car il me restait un compte Fimatex avec quelques sicav qui n’avaient elles perdu « que » 50 % de leur valeur.
Désespoir, haine de soi, sentiment d’impuissance et d’incompétence, j’avais dans la foulée fait perdre 30kE à ma petite amie ! Moi qui m’imaginais quitter l’éducation nationale après 5 années de pénibles services en son sein me voyais subitement promis à un avenir de vieux prof grincheux et désabusé, tout ce que je déteste. Dépression pendant un an et demi, arrêt de travail d’un an.
Reprise du boulot en 2003 sur un autre poste, j’ai profité de la fin de mon congé de maladie (et j’étais réellement bien malade, pourtant) pour reprendre mes études. Je me mis en tête de finir un DEA laissé aux oubliettes, d’enchaîner sur un doctorat et passer maître de conférences afin d’avoir dans cette Éducation nationale que je déteste (je ne parle pas de élèves, mais de la superstructure et des mentalités) un peu de reconnaissance et de réconfort. La route allait être plus longue que prévue et semée d’embûches, mais je soutins malgré, fort tard, et avec les « honneurs » espérés.
Dans le même temps, j’avais découvert un truc nouveau et bizarre dont on commençait à parler sur les forums boursiers (Boursorama ex-Fimatex et Pro-AT animé par le grand Crock). Ce truc fou s’appelait le Forex ! Je m’y suis mis et… j’ai perdu encore plus vite que sur les actions, chez des courtiers aux noms exotiques, avec des suspensions de cours quand vous êtes en plus-value, etc.
Dans le même temps, je commençais à coder mes premiers systèmes. Sous Metastock d’abord, puis VTTrader, tandis qu’émergeait une nouvelle interface du nom de prorealtime qui, bien à tort j’avoue, me semblait alors un petit gadget sans avenir loin des logiciels vendus très chère ‒ boîte noire intégrée ‒ avec des prétendus systèmes de neurones super intelligents dedans (pour le coup, je n’ai jamais marché dans ce délire, je m’étais déjà suffisamment fait plumer).
Dans la période 2003-2006, je me détachais de la bourse, pour raisons familiales impérieuses, mais je m’intéressais malgré tout à mes heures de loisir, aux options, me mettant en tête de maîtriser la complexité des Grecs. Ce travail intellectuel m’a tenu éloigné des graphiques que je méprisais hautement pendant plusieurs années, comme un bruit futile qui coure sous les Delta, Gamma, Véga… enfin, je revins sur le marché, recapitalisé, via les options, chez ib, en… 2007 !
Ah ah ah ! Bon, je ne vous fais pas un dessin… Un spread qui tourne mal, et hop, nouvelle brèche dans la coque du Titanic. Le château de cartes s’effondre mieux encore qu’en 2001. Sarkozy tout énervé pour sauver le monde, les banques centrales en renfort, vous vous en souvenez tous, vous y avez tous laissé pas mal de plumes, et ceux qui disent le contraire sont des menteurs ou des amnésiques.
Pour moi, habitué à l’échec, relatence de 2 ou 3 ans. Pendant ce temps, création d’une autoentreprise qui améliore bien mon quotidien, publications variées et rentrées d’argent en droits d’auteur. Mais également, codage intense de systèmes pour le Forex avec ce nouveau logiciel finalement pas si mal (prorealtime) me poussant, la mort dans l’âme, à abandonner Metastock (qu’est-ce que je l’ai aimé celui-là) ! au tournant des années 2010 s’ouvre une nouvelle ère. Celle du père de famille pas trop mauvais investisseur, qui remplit son petit portefeuille d’ETF, et qui rêve de re revenir au trading pur et dur, faute d’avoir su coder « le » système qui remplit son compte pendant qu’il dort.
Je médite à tout cela. Andlil en renfort ! Je vois émerger un type qui a un parcours proche du mien, un prof, comme moi, plus jeune, qui en veut, comme moi, mais qui a le courage de faire vite des choix radicaux, à ma différence. Je m’y intéresse, je suis ses atermoiements du début, puis sa réussite et son triomphe !
Moi aussi, je peux ! Moi aussi je le ferai, même à 10 ans de la retraite !
Les années passent. Je reviens aux graphiques, à la dynamique même du marché, à ses rythmes internes, ses accélérations, ses pauses, etc. j’étudie comment cela se diffracte et se répercute sous toutes les ut, même les plus infimes, grâce à prt (le temps réel était un rêve inaccessible à mes débuts). Je m’intéresse à la manière dont se forme une Bougie donnée en fonction du nombre des ticks qu’elle absorbe. Tout est là, dans la dynamique de l’instant et la perception des changements de rythme. C’est le cœur du marché, je l’écoute, mon trading devient un stéthoscope. Le scalping s’impose. Entraînement intensif en mode démo pendant 2 ans. Ouf, me voilà enfin profitable !!! Profitable, mais avec des trous dans la raquette. Comme beaucoup j’alterne donc démo et réel, mois après mois, plusieurs heures par jour. Je deviens fou à nouveau : 4 h de cours en amphi de 300 (épuisant pour qui en a fait l’expérience avec les heures de préparations et de correction qui vont avec) et j’enchaîne sur 2h de trading avant la fermeture US. Je scalpe essentiellement le Russell 2000. Je l’aime, il m’aime ! Pourquoi lui faire des infidélités avec ces petits excités de DJ ou de nq ?
J’en suis désormais à la construction de ma fusée à trois étages (comme toutes les fusées et toutes les bonnes dissertations) pour m’envoler définitivement de l’Éducation nationale à horizon de 2 ans et demi après avoir sommé le sommet de ma hiérarchie de faire valoir mes droits à une rupture conventionnelle presque honnêtement indemnisée (mais là, je ne rêve pas, je connais la maison et son Thénardier chauve de patron).
Étage 1. Assez d’économies pour avoir un bol de riz et un toit jusqu’à la retraite. On n’y touche pas, sous aucun prétexte, c’est le filet presque déjà tissé qui m’évitera les insomnies.
Étage 2. Mon activité libérale qui m’assure l’équivalent de 30 à 50 % de mon salaire actuel. Je continue et je développe. Ce à quoi s’ajouteront quelques droits d’auteur, parcimonieux.
Étage 3 : trading sans stress, car les étages 1 et 2 suffisent à ma vie d’ascète qui aime les bois au printemps, la montagne en automne, la mer en hiver et ma chambre climatisée en été. Mes loisirs ? La littérature, essentiellement d’auteurs qui sont dans le domaine public. La musique ? Classique, et accessible sans bourse déliée (je ne suis pas fan des grandes salles snobs et bondées). Les promenades solitaires dans les bois ou dans les garrigues : gratuit là encore !
Une fois âgé, les étages 2 ou 3 cesseront de fonctionner, remplacés par ma modeste pension de fonctionnaire qui aura donné plus d’un quart de siècle à la fonction publique.
Toute ma gratitude à ceux qui m’auront lu jusqu’au bout ! Et amitiés à tous.