Le protectionnisme, bonne ou mauvaise solution ?

1 1 2019 - 5 commentaires
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Le protectionnisme économique est souvent envisagé comme remède à des problèmes économiques afin de soutenir des pans de l’économie nationale en difficulté. Mais nous allons voir que le protectionnisme a de nombreux effets et des conséquences à long terme pour les secteurs d’activités protégées. En effet, le protectionnisme doit être utilisé de manière ciblée dans un contexte économique particulier pour être pleinement efficace. Sinon, le remède du protectionnisme peut tuer le malade.

Vidéo sur le protectionnisme

en cours d'encodage disponible le 2 janvier 2019

Qu’est-ce que le protectionnisme ?

Le protectionnisme est le contraire du libre-échange. L’État intervient dans le but de protéger son économie interne de la concurrence d’autres pays. Pour cela, le protectionnisme peut emprunter de multiples voies :

Le protectionnisme classique

La mise en place de taxes à l’importation, de droits douaniers sur les produits étrangers… ce sont les mesures les plus classiques du protectionnisme. Les produits étrangers deviennent ainsi plus chers pour le consommateur national. De ce fait, il aura tendance à se tourner vers la production nationale, sous réserve que la qualité soit identique. Protéger un secteur économique avec le protectionnisme n’est efficace que si le produit national est au moins d’égale valeur en qualité face à ses concurrents. Pour que le protectionnisme soit efficace il faut donc intervenir rapidement, presque par anticipation. Protéger un secteur économique en déclin et qui propose des produits inférieurs à la concurrence étrangère ne permettra pas de protéger efficacement cette industrie. Le consommateur et l’entreprise préféreront payer plus cher pour avoir un produit de qualité.

Le protectionnisme sournois

Il existe un autre type de protectionnisme qui est beaucoup plus sournois et beaucoup plus efficace. L’État peut imposer des normes contraignantes aux produits étrangers afin de décourager la concurrence. Dans les années 1980 1990, les Japonais imposaient des normes drastiques pour protéger leur secteur automobile. Les voitures étrangères étaient refusées pour une taille excessive de rétroviseur par exemple. Bref les normes sont calibrées pour empêcher les importations. C'est un protectionnisme technique.

L’État peut aussi encourager les exportations via des subventions plus ou moins déguisées. Le producteur local vend alors ses produits à l’étranger moins chers pour dominer la concurrence en s’appuyant sur les aides de l’État. Tous les pays font ce type de protectionnisme dans les domaines où ils sont forts afin d’asseoir leur position dans la mondialisation. Les États-Unis d’Amérique, la Chine, mais aussi l’Union Européenne ne vont pas hésiter à utiliser l’arme des subventions dans les domaines tels que l’industrie automobile, l’aéronautique, l’agriculture… Nous vivons une guerre économique où les chômeurs sont les victimes, chaque État ou groupe de Nations tentent de s'imposer.

Si on reprend l'exemple du Japon, le gouvernement japonais a beaucoup aidé l'exportation des consoles de jeux vidéos créant le paradoxe que les consoles de jeux vidéos coutaient plus chères au Japon qu'à l'étranger.. Les consoles étaient vendues beaucoup moins chères à l'étranger grâce aux aides diverses de l’État nippon afin de s'imposer et d'empêcher l’émergence de concurrents locaux. Jusqu'au jour où Microsoft avec son trésor de guerre s'est mis lui aussi à concurrencer les consoles japonaises (à perte au départ).

protectionnisme

Le protectionnisme

Le protectionnisme français et l’industrie

La France a été l’un des pays qui a le plus protégé son industrie au cours des dernières décennies. Le protectionnisme industriel français a commencé massivement à l’époque de Napoléon III et il a perduré jusqu’à nos jours. Napoléon III par le protectionnisme a protégé l’industrie textile française, l’industrie des mines, du charbon, de l’acier en taxant de manière très importante toutes les productions venant des autres pays. Cette politique économique défensive a été saluée notamment par les industriels du nord de la France qui en ont pleinement profité. Mais elle a été ensuite la raison de leur déclin.

Après Napoléon III, les colonies françaises ont pris le relais. En effet, qu’est-ce que la colonisation si ce n’est accaparer des matières premières aux prix les plus bas mais aussi, et on l’oublie souvent, avoir un marché captif ? En effet, les centaines de millions de personnes dans les colonies étaient un vivier de consommateurs extrêmement important pour les industries françaises. Les colonies étant protégées, les pays étrangers n’étant pas autorisés à commercer ou extrêmement difficilement avec les colonies françaises. Les colonies devaient donc acheter des produits français quasi exclusivement. Ainsi, pendant presque 100 ans, l’industrie française a été protégée par l’État par un double protectionnisme : le protectionnisme hexagonal, français et le protectionnisme colonial.

Le protectionnisme et le déclin de l’industrie française

Mais c’est ce protectionnisme qui a créé le déclin de l’industrie française. En effet, le protectionnisme crée ce qu’on appelle une économie de rente. L’industriel est sûr de vendre ses produits car il bénéficie d’un marché protégé. De ce fait, il n’a pas besoin de faire particulièrement d’effort pour écouler sa marchandise. La concurrence étant limitée, ses produits trouvent facilement preneur protégés par les réglementations, les interdictions, les taxes de l’État protecteur… Il n'a donc aucun "effort" à produire pour écouler ses marchandises.

Les limites du protectionnisme

Le problème de ce système économique c’est qu’il vit hors-sol. Finalement dans les années 1950 et 1960, les produits français dans l’industrie du textile, de l’acier… étaient plus chers que leurs concurrents et surtout de moins bonne qualité. En effet, les efforts de recherche et de développement, d’innovation ne sont pas la priorité dans une économie protégée. Le protectionnisme favorise donc indirectement la passivité et la gestion de la rente. Le drame pour l’industrie française a été la perte des colonies et de ses centaines de millions de consommateurs captifs. Pourquoi allaient-ils continuer à acheter des produits français plus chers est de moins bonne qualité ?

Pour vous donner un exemple concret, dans les années 1960 nous avions encore dans le nord de la France des machines-outils datant du début du 1900. Les Allemands avaient des machines-outils avec 60 ans d’avance. Nous étions totalement dépassés en terme de productivité mais aussi de qualité de produit. Le protectionnisme français de l’industrie a provoqué le déclin et l’anéantissement total de l’industrie française dans les secteurs les plus protégés. Protégés par des frontières protectionnistes artificielles qui nous coupaient de la concurrence, nous avons été lentement mais sûrement dépassés.

Rappelons que l’industrie française à la fin du XIXe siècle était la plus forte d’Europe continentale. Le protectionnisme français a finalement favorisé l’industrie allemande indirectement. Celle-ci était soumise à la concurrence, elle n’a cessé d’innover à tel point que même les entreprises françaises préféraient payer plus cher pour acquérir des machines-outils allemandes de meilleure qualité que la production industrielle nationale.

Le protectionnisme et les États-Unis d’Amérique

Les États-Unis d’Amérique sont aussi généralement protectionnistes, mais cela leur réussit. Pourquoi une telle différence avec la France ?

Il y a deux facteurs explicatifs principaux : le poids dans l'économie mondiale et l’état d’esprit américain face au protectionnisme.

Pour qu’un protectionnisme puisse fonctionner il faut que le pays soit en position de force, qu’il soit leader dans son domaine. Il faut que les autres pays aient fondamentalement besoin des produits, des services, de l'investissement fournis par ce pays protectionniste. C’est le principe de l’avantage comparatif.

Les États-Unis d’Amérique sont leaders dans de nombreux domaines technologiques, il serait trop long de les énumérer. Prenons un micro exemple que vous vivez actuellement : vous lisez cet article peut-être après l’avoir découvert sur un moteur de recherche américain (Google qui représente plus de 95 % des recherches des Français), consulter cet article sur un système d’exploitation forcément américain, avec un microprocesseur Intel ou AMD américain et vous faites vos achats sur Amazon qui est… vous connaissez la suite. Connaissez-vous un système d’exploitation français ? Un microprocesseur français ? Un moteur de recherche français que vous auriez envie d’utiliser ? Un site français vendant dans le monde entier ? Il n'y en a plus.

Un protectionnisme défensif ou offensif ?

Les États-Unis d’Amérique ont énormément subventionné ces secteurs de développement pendant des décennies car ils avaient un avenir important. Pendant ce temps nous nous concentrions à sauver l'acier et les mines françaises. Notre protectionnisme était pour défendre le passé et les emplois alors que d'autres pays l'utilisaient pour protéger des industries naissantes à fort potentiel mondial et de création d'emplois. Il y a donc une forme de protectionnisme défensif et un protectionnisme offensif.

Enfin il faut savoir que tout protectionnisme excessif entraine une riposte des autres pays. Donc un pays dépendant des matières premières et / ou ne répondant pas à un besoin important pour ses concurrents, il peut difficilement lancer un programme protectionnisme sans en payer en retour un contre protectionniste ravageur.

Pour un protectionnisme réussi

Bref la position de force est indispensable pour un protectionnisme réussi. L’erreur du protectionnisme français, relevé notamment par Raymond Barre, a été en permanence de soutenir des secteurs en déclin qui n’avaient, osons le dire, aucun avenir car ils accumulaient beaucoup trop de retard face à la concurrence.

Donc nous avons accompagné à coup de milliards de subventions lentement le déclin plutôt que de protéger les secteurs en forte croissance potentielle. La logique protectionniste américaine est totalement différente, ils se mettent rapidement à protéger les secteurs les plus dynamiques pour les renforcer.

Le protectionnisme n’est fiable qu’avec un état d’esprit d’innovation permanente. Nous l’avons vu avec l’exemple français de l’industrie de l’acier et du textile. Protégés de la concurrence et avec un marché de consommateurs dédiés, les industriels ont coulé des jours heureux en maximisant les profits. Mais ils ont négligé totalement l'innovation, la recherche, le développement… Jusqu’au jour où, avec la fin des colonies, il a fallu trouver de nouveaux débouchés pour nos produits. Personne n’en voulait, trop chers, de mauvaise qualité par rapport à la concurrence. Celle-ci avait été stimulée pendant des décennies par l'innovation afin de ne pas mourir.

Le réveil a été très douloureux et ce sont les régions les plus riches de France qui avaient bénéficié du protectionnisme de l’État qui sont les régions les plus pauvres de France maintenant. L'acier allemand ultra spécialisé se vend toujours très bien, alors que l'acier français a disparu.

Conclusion sur le protectionnisme

Contrairement à une image d’Épinal très répandue, le protectionnisme n’aide pas les secteurs économiques en difficulté. Il ne fait que retarder l’échéance et les empêcher d’innover, ce qui est leur seule planche de salut. En revanche, il est efficace pour protéger un secteur dominant et innovant.

Le protectionnisme n’est pas là pour sauver les "canards boiteux" mais pour renforcer les secteurs forts de l’économie. Encore faut-il avoir encore des secteurs économiques forts. Le protectionnisme est donc à double tranchant et il fonctionne de manière positive que sur des secteurs dynamiques et innovants.

Auteur de l'article :

Benoist Rousseau est diplômé de l'université Paris-Sorbonne en histoire économique contemporaine et de la Certification Professionnelle des Acteurs des Marchés Financiers de l'AMF. Il a été professeur d'histoire pendant 12 ans avant de devenir trader en compte propre. Ancien Conseiller en Investissements Financiers, il est aussi écrivain. Son ouvrage "Devenez Trader Pro" est numéro 1 des ventes dans la catégorie bourse depuis de nombreux mois. Intervenant régulier sur TV Finance et divers médias, il est suivi par plus de 150.000 personnes sur les réseaux sociaux.

5 Commentaires pour Le protectionnisme, bonne ou mauvaise solution ?

  1. Tom dit :

    Un grand merci pour ce petit cours sur le protectionnisme. C'est toujours agréable de te lire.

  2. Christelle Puyraud dit :

    un article passionnant, merci Benoist !

  3. Miguel dit :

    Très bon article

  4. Bibir dit :

    Bonjour 😉 Très intéressant, merci. "Le protectionnisme n’est fiable qu’avec un état d’esprit d’innovation permanente." Effectivement, je pense que c'est un prérequis.

    Cependant, si on considère le seul domaine technologique => comment concurrencer les GAFAM sur leur propre terrain ? Ils ont certes innovés, ont été meilleurs dés le départ, mais maintenant que "l'effet réseau" est là, comment innover dans ce domaine ?

    Aucune entreprise ne peut être viable, à mon avis, car aucun utilisateur ne quittera ces platerformes sans une très bonne raison ?

  5. Christelle Puyraud dit :

    Merci pour ce partage très intéressant, Benoist

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