Les travaux de Richard Thaler, la théorie de l'économie comportementale

10 10 2017 - 9 commentaires
ProRealTime

Le prix Nobel d’économie a été attribué, lundi 9 octobre, à l’Américain Richard H. Thaler, de l’université de Chicago, pour ses travaux sur les mécanismes psychologiques et sociaux à l’œuvre dans les décisions des consommateurs ou des investisseurs. Pouvez-vous nous expliquer les fondements de sa théorie sur l'économie comportementale ? En quoi ces travaux sont ils importants pour comprendre au mieu l'orientation des marchés ? 

L'économie comportementale est l'étude de l'influence des émotions et des facteurs personnels propres à chaque individu dans la prise de décisions économiques. Il s'agit d’une remise en cause des anciens modèles qui percevaient la prise de décision comme un comportement rationnel (recherche du gain avant tout).

En effet, cette nouvelle approche inclut la part psychologique et le cadrage dans les comportements afin de démontrer la nature irrationnelle, subjective et variable des comportements, même dans un domaine aussi sérieux que l'économie. Notons que Daniel Kahneman a reçu en 2002 le prix Nobel d’économie pour ses travaux pionniers dans ce domaine, Richard H. Thaler a poursuivi en faisant entrer avec plus de force la psychologie dans le champ économique.

Ces travaux sont importants pour comprendre l’orientation des marchés financiers car ceux-ci ne sont pas « rationnels » même si cela nous rassure de le croire. Ils sont au contraire excessifs en tout, à la hausse comme à la baisse, car la psychologie collective et les biais cognitifs affectent considérablement les intervenants. J’achète parce que mon voisin achète (une voiture, une maison, une action…). L’influence groupale est au cœur même des marchés financiers.

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Les travaux de Richard Thaler la théorie de l'économie comportementale

Ces travaux traitent de nos « biais cognitifs », ce qui fait que nous prenons nos décisions d'une manière qui peut sembler illogique. Quels sont-ils? 

Il existe des dizaines de biais cognitifs qui influencent nos prises de décision. (CF: la Liste des principaux biais cognitifs). Citons en quelques-uns qui peuvent influencer notre vie d’agent économique ou bien les marchés financiers.

Le biais cognitif appelé l’effet IKEA est la tendance naturelle que nous avons à augmenter la valeur d’un bien que nous avons assemblé nous-mêmes. L’enseigne du même nom profite pleinement de ce biais. Ses produits une fois montés, sont survalorisés proportionnellement à la difficulté de l’acheteur de monter les meubles…

L’effet de dotation est notre tendance naturelle à surestimer nos propres biens. Cela a un impact sur le marché immobilier lors de la vente d’une maison de famille par exemple. L’acheteur vend le bien matériel, mais aussi les affects et les souvenirs qui sont liés, alors que l’acheteur ne voit que le bien en lui-même, dépollué des émotions. Cela explique notamment le fait que beaucoup de vendeurs n’arrivent pas à descendre le prix et surestiment grandement leur « produit » qu’ils mettent sur le marché immobilier.

Il est indispensable de bien connaître les biais cognitifs pour percevoir ceux qui nous influencent le plus dans nos prises de décision afin d’en limiter les effets et de tenter de prendre des décisions logiques et rationnelles.

 

Ces travaux traitent de nos « biais cognitifs », ce qui fait que nous prenons nos décisions d'une manière qui peut sembler illogique. Quels sont-ils? 

L’économie comportementale remet effectivement en cause toutes les théories économiques basées sur le fait que l’individu serait un agent économique rationnel et qu’il prend les meilleures décisions possibles avec les informations qu’il a en sa possession. L’efficience des marchés, la théorie d’Eugène Fama développée dans les 1950 1960, est donc en première ligne des critiques. Pour l’économie comportementale, l’être humain prend avant tout ses décisions en fonction de ses biais cognitifs tout en s’illusionnant sur sa propre rationnalité.

Par exemple, est-il rationnel au début du XXIe siècle, dans un monde qui va demander de plus en plus de mobilité professionnelle, de s’endetter 30 ans pour acquérir un pavillon de banlieue en zone périurbaine ? N’est-ce pas se condamner en cas de perte d’emploi à avoir de grandes difficultés à trouver un nouvel emploi en réduisant considérablement ses possibilités géographiques de recherches ? L’achat immobilier dans ce cas résulte plus d’un biais cognitif d’identification sociale, la volonté de devenir propriétaire très ancrée chez les Français, que d’une rationalité économique absolue.

Il est parfois plus avantageux financièrement de rester locataire que de devenir propriétaire. Malgré les démonstrations comptables, par identification et par pression sociale des parents et des amis, l’achat immobilier, qui est l’achat le plus important généralement dans la vie d’un français, est profondément parasité par nos différents biais cognitifs.

L’être humain ne serait donc pas un robot rationnel dans ses choix économiques, mais un humain profondément influencé par sa psychologie personnelle et par son environnement collectif. L’économie comportementale a donc le mérite de remettre l’homme et ses contradictions au cœur de la prise de décision économique. Elle lui redonne son humanité dans le processus de décisions avec ses forces et ses faiblesses, ses splendeurs et ses misères. Non, nous ne sommes pas des robots rationnels, mais nous essayons de faire au mieux avec notre humanité.

Interview donnée au site Atlantico.fr le 9 octobre 2017

En supplément pour prolonger dans notre domaine de prédilection, la bourse :

Notons que depuis plus de 7 ans sur ce blog, c'est l'approche fondamentale que j'ai dans le trading. Quand j'écris chaque jour que 90% de vos résultats en trading viennent de votre psychologie, que le trading c'est 90% de la psychologie et 10% de la technique, c'est une approche de l'économie comportementale appliquée au trading.

Et 90% des apprentis traders se consacrent à 90% sur la technique avec les résultats que nous connaissons 90% d'échec.

Et si vous changiez maintenant ? Si ma parole et mes écrits n'ont pas grande influence sur vous depuis 7 ans, peut-être que si un prix Nobel d'économie le dit, cela aura un impact plus fort sur vous ? Si oui, c'est aussi un biais cognitif, le biais d'autorité 🙂 Bref, ne négligez surtout jamais votre humanité dans le trading et ne vous croyez pas rationnel, c'est une illusion. Même vos graphiques et la perception de la tendance vont changer selon votre humeur et votre environnement immédiat.

Et oui, vive notre humanité, nous ne sommes pas des robots et même nos algorithmes dans le trading automatique ont été programmés par nous et nous avons tendance à y rajouter des affects humains. Faut-il rajouter dans nos algorithmes de l'humanité ou bien en faire des robots rationnels pour être le plus efficace possible ?  Mais c'est un autre débat 🙂

Voir aussi : La Finance comportementale, le nudge et Emmanuel Macron

Auteur de l'article :

Benoist Rousseau est diplômé de l'université Paris-Sorbonne en histoire économique contemporaine et de la Certification Professionnelle des Acteurs des Marchés Financiers de l'AMF. Il a été professeur d'histoire pendant 12 ans avant de devenir trader en compte propre. Ancien Conseiller en Investissements Financiers, il est aussi écrivain. Son ouvrage "Devenez Trader Pro" est numéro 1 des ventes dans la catégorie bourse depuis de nombreux mois. Intervenant régulier sur TV Finance et divers médias, il est suivi par plus de 150.000 personnes sur les réseaux sociaux.

9 Commentaires pour Les travaux de Richard Thaler, la théorie de l'économie comportementale

  1. fl9278 dit :

    Encore une fois merci pour tout ce temps que tu passes;
    Belle synthèse, mais venant de toi, comment eut il pu en être autrement !
    Je lace la pétition: "Benoist, prix Nobel !"

  2. Jim dit :

    Top article !
    J'ai redécouvert le sujet des biais cognitifs à travers Andlil, et je t'en remercie.

  3. Matthieu L dit :

    Merci pour ces rappels constants.
    En effet, les multiples expériences de type Milgram démontrent à chaque fois depuis des décennies le fort biais d'autorité de la plupart.
    J'en fais clairement partie moi-même même si je travaille à m'en extraire.
    C'est un gros boulot de déconditionnement.

  4. Ta mère dit :

    Je ne connais pas ce site, je ne connais pas la bourse (et je m’en tape d’ailleurs), mais cet article est un condensé qui interpelle ! Comment en quelques lignes remuer le fond de la vase. Je cherchais des trucs à propos du nudge marketing, votre article vient de me faire faire un 360° en moins de 2. Du coup, après avoir tapé ces quelques remarques bien communes, je m’en vais explorer votre prose sur d’autres pages (via vos zyperliens). Au plaisir de ressentir le même choc.

  5. Christelle Puyraud dit :

    Merci pour cette réflexion, Benoist

  6. Christelle Puyraud dit :

    Artcle tres interessant, merci Benoist.

  7. Jc dit :

    Très bien dit, merci pour cet article très cair et constructif

  8. camara sekou djeinabou dit :

    Merci vraiment ....très belle analyse sur une situation qui interpelle les agents économiques de tous les jours tant dans le secteur financier que réel.
    On s'efforce à être parfait tandis que les comportements moutonniers amplifient les crises....je veux dire de suiviste ;alors je me demande faut il toujours avoir tort avec le marché que d'avoir raison sur lui? ça sera un plaisir d'avoir votre avis sur cette question

  9. Kaputa Jean dit :

    Merci à Richard pour cette belle théorie,les biais cognitifs de tout individu peut être négatif ou positif selon le milieu social ou l'environnement.selon toi les biais cognitifs peut être négatif ou positif ?

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