Dans ma vie normale d'humain normal, j'ai rencontré quelqu'un et je croyais en toute bonne foi que c'était un garçon, un homme, mais en fait c'était une femme.
Je n'en dirais pas trop sur elle parce que j'ai appris qu'il n'y a pas que les secrets qui demandent de la discrétion, les vérités délicates se gardent aussi parfois.
Quand elle a dit aux trois personnes de confiance qu'elle avait cru reconnaître en nous, qui elle était vraiment, c'est à dire une femme dans un corps d'homme, j'ai eu l'impression de rencontrer une créature légendaire. Dans l'optique de ma vie je n'avais jamais rencontré ou fréquenté quelqu'un qui avait vécu un tel parcours.
Elle était ouverte aux questions et aux réactions, il ne m'en fallait pas autant pour déjà mettre le feu à mon imagination.
Sans surprise, la première réaction Futures l'étonnement, s'en est suivie la fausse politesse qu'on se sert histoire de prouver très vite qu'on est des gens tout à fait tolérants, le temps de 'processer' l'information. Progressivement la politesse devient plus naturelle puisque l'on prend conscience que la mise à nue est toujours un acte délicat.
Sans pour autant pouvoir vraiment faire preuve d'empathie.
Plus tard, alors que mon cerveau était capable d'identifier les limites de ma compréhension et donc de formuler les cent questions qui séparaient ma conception de sa réalité, je lui ai fait subir une interview bien épaisse. Je m'assurais régulièrement de ne pas (trop) la submerger, et elle supportait gentiment ma curiosité.
Est-ce que ton corps est comme un habit que tu as hâte de quitter pour être enfin toi ? Comment tu vis avec la distance qu'il y a entre la perception que l'on peut avoir de toi et ce que tu sais de toi ? Je lui ai parlé de courage, elle m'a parlé surtout d'urgence. Elle m'a dit que ne pas se révéler déjà à soi-même, c'était mourir. Elle m'a dit qu'elle avait vécu de belles réactions, de très mauvaises, des bizarres. J'ai tout écouté, j'ai tout absorbé.
Quand la conversation s'est désintensifiée, ou du moins, quand moi je me suis désintensifiée, je lui ai dit que sûrement parfois j'allais encore me tromper, la mégenrer comme elle m'a dit ; j'allais dire 'il' pour la désigner. Elle m'a dit qu'elle s'y attendait, mais qu'elle apprécierait que je me fasse violence et c'est vrai que ce n'était pas demander grand-chose.
Enfin je lui ai dit que je savais ce qu’était être mal dans son corps, de lui en vouloir, de le haïr, de le cacher, mais que je n'avais imaginé avoir un corps et un cœur qui racontent deux histoires différentes. Et alors, avec la même patience, et avec toute la bienveillance qu'elle avait, en dépit du fait que c'est une phrase qu'elle a déjà dite mille fois, et qu'elle dira surement mille fois encore, elle m’a dit : « xxx, it's not about you... ».
« Tu peux en faire ton problème, tu peux tout te demander, tu pourrais même me rejeter ou me désapprouver, toujours est-il qu'il ne s'agit pas de toi ».
Il y a des clartés contre lesquelles on ne peut rien. Il ne s'agissait pas de moi, je n'avais pas à tordre mon empathie, je n'avais rien à comprendre, je n’avais pas à endurer son parcours ; on serait pour toujours sur deux rives voisines mais opposées, elle en elle et moi en moi. Tout ce que je pouvais faire c'était écouter et admettre sa vérité, aussi inaccessible soit-elle. C'est tout.
Elle n’était la prophétesse de rien du tout, elle n’était pas non plus une créature légendaire, c’était juste une fille, une femme, et son histoire. C’était tout.
Et moi j’étais pareille, une femme et son histoire, semblable et différente.
Personne ne peut raconter ma propre histoire à ma place, personne ne peut m’en soulager ou m’en extraire. Personne ne connait les joies et les déceptions que je porte, les victoires et les pertes que j’ai subies, ni la marque qu’elles ont laissées, puisque là précisément, il s’agit de moi, uniquement de moi. Personne ne me fait faire ou ne pas faire, avancer ou reculer, guérir ou souffrir, et c’est là encore ou il s’agit de moi. Dans les mains que je tends, dans celles que je prends ; dans ce que je veux voir ou ignorer ; dans ce que j’écoute et dans ce que j’entends ; dans les choses qui me touchent et dans celles qui m’échappent ; là aussi il s’agit de moi.
_Les autres, puisqu'ils vivent d'autres vies possèdent d'autres sagesses, qu'ils ont apprises souvent à leur dépend, et parfois ces sagesses, on se les échange.
Alors aujourd'hui ou d'autres jours, pour de multiples raisons je me dis que ça peut servir à d'autres de se le dire : personne n'est en charge du fardeau des autres, autant que personne ne peut parcourir son existence en niant que sa vie ricoche sur celle des autres.
L'humilité ce n'est pas être tout petit ou tout puissant, c'est être tout entier. À sa place et ensemble._