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L'éloge de la paresse

par takapoto » 07 avr. 2018 16:39

Afin de ne pas troller la file de BarIsDead : enseignement-sur-la-meditation-la-joie- ... 21650.html, je crée une file spéciale pour vous proposer ce texte de Jean d'Ormesson :

Je voudrais crier aux jeunes gens dévorés de l’envie de laisser un nom dans ce monde qu’il y a quelque chose de mieux que de voyager : c’est de ne rien faire. Il y a quelque chose de mieux que d’avoir des aventures : c’est d’en inventer. Il y a quelque chose de mieux que de s’agiter : c’est de s’ennuyer.

J’écrirais volontiers un éloge de la paresse et de l’ennui. La paresse, rien de plus clair, est la mère des chefs-d’œuvre. Très loin de l’abrutissement qui naît des grands postes et des hautes fonctions, l’ennui est cet état béni où l’esprit désoccupé aspire à faire sortir du néant quelque chose d’informe et déjà d’idéal qui n’existe pas encore. L’ennui est la marque en creux du talent, le tâtonnement du génie. Dieu s’ennuyait avant de créer le monde. Newton était couché dans l’herbe et bayait aux corneilles quand il a vu tomber de l’arbre sous lequel il s’ennuyait la pomme de la gravitation universelle. Les petits esprits s’énervent au milieu de foules de choses, la plupart du temps inutiles. Les grands esprits ne font rien et s’ennuient comme Descartes « enfermé seul dans un poêle en Allemagne » avant de découvrir des cieux. Chateaubriand bâillait sa vie avant d’écrire Atala, et René, et les Mémoires d’outre-tombe.

L’essentiel est de fuir les occupations subalternes et d’éviter de se disperser dans des plaisirs ou des obligations d’emprunt, et puis de se donner tout entier à ce qui sera l’œuvre d’une vie. Proust renonce aux chroniques du snobisme et aux raouts dans le grand monde pour se claquemurer chez lui, entre ses murs couverts de liège, dans ses souvenirs et dans ses rêves d’où surgiront les miracles de Swann, d’Odette, de Françoise, d’Albertine, de la duchesse de Guermantes et du baron de Charlus. Dans un domaine très différent, Louis de Broglie sort lui aussi d’une banalité quotidienne où il ne faisait presque rien pour entrer d’un seul coup dans un rêve étoilé. Il ne passait pas pour le plus doué des siens qui avaient tous brillé dans la guerre, dans la politique, dans les lettres. Lui, c’était plus modeste : il s’occupait d’histoire, de généalogie, d’une collection de timbres-poste, il brillait au bridge et aux échecs lorsque, un beau jour, à Bruxelles, à l’occasion d’un congrès savant où l’avait entraîné son frère Maurice, il découvre par hasard la grandeur farouche d’une physique mathématique qui le mènera jusqu’à la mécanique ondulatoire. « Monsieur, lui dira plus tard Léon Blum en lui remettant l’ordre le plus élevé dans la Légion d’honneur, vous appartenez à une famille où le talent était héréditaire avant que le génie y entrât. »

Le génie – ou quelque chose comme ça – descend aussi sur Loguivry-Plougras, sur Saint-Chély-d’Apcher, sur la chambre où un garçon – ou une fille –, peut-être venu d’ailleurs, peut-être découragé, se débat contre un destin hostile qui semble ne rien promettre. Voyager n’est pas mal. Le succès, c’est très bien. Être heureux, qui ne le souhaite ? S’ennuyer est bien mieux. C’est quand vous êtes perdu que vous commencez à être sauvé. La vie la plus banale, allumer le feu dans une cheminée, se promener dans les bois – Rousseau avait besoin de marcher pour aiguiser ses idées –, ronger son frein et son cœur parce qu’on n’est bon à rien, maudire le monde autour de soi, s’abandonner aux songes, ou, mieux encore ne rien faire du tout, ou, en tout cas le moins possible – avant, bien sûr de se jeter dans le travail à corps perdu –, peut mener autrement loin.

Re: L'éloge de la paresse

par opak35 » 07 avr. 2018 17:03

trop marrant j'y pensais à faire la contre file ! :bravo: :mrgreen:

Re: L'éloge de la paresse

par opak35 » 07 avr. 2018 17:04

Je voudrais crier aux jeunes gens dévorés de l’envie de laisser un nom dans ce monde qu’il y a quelque chose de mieux que de voyager : c’est de ne rien faire.
j'adorais cet homme (Jean d'Or) :top: :D

Re: L'éloge de la paresse

par opak35 » 07 avr. 2018 17:07

l’ennui est cet état béni où l’esprit désoccupé aspire à faire sortir du néant quelque chose d’informe et déjà d’idéal qui n’existe pas encore
:top:
Les grands esprits ne font rien et s’ennuient
:lol: :lol: :top:

Proust renonce aux chroniques du snobisme et aux raouts dans le grand monde pour se claquemurer chez lui,
j'adore celle ci :top:

maudire le monde autour de soi, s’abandonner aux songes, ou, mieux encore ne rien faire du tout, ou, en tout cas le moins possible – avant, bien sûr de se jeter dans le travail à corps perdu –, peut mener autrement loin
:top: :top: :top: :mercichinois: :mercichinois:

merci TAka :merci:

Re: L'éloge de la paresse

par Benoist Rousseau » 07 avr. 2018 17:16

Jean d’Ormesson l’homme qui a été l’écrivain français le plus prolixe et le plus travailleur de ces 30 dernières années il n’arrêtait jamais :)

Re: L'éloge de la paresse

par opak35 » 07 avr. 2018 17:31

les écrivains (de talent) se sont des artistes qui ont typiquement de longues phases de vides' de manque d'inspiration' pour finalement entrer en gestation et pondre d'un coup un grand livre...
enfin je pense pour pas mal d'entre eux