J’ai fais des recherches et j’ai eu quelques éclaircissement, de source sûre, sur la manière dont a été prise cette décision.
C’est l’oeuvre de D.S, employé au département de l’immigration.
C’est un petit bonhomme, maigre, dégarni, les yeux à la fois perçants et fuyants, ressemblant à un célèbre polémiste. Il tient son travail à coeur et il est très zélé dans ce qu’il fait, en conséquence ses collègues l’ont surnommé “le zemour vache”. Lui ne comprend pas très bien. S’il s’est arrangé pour occuper le bureau en face de la pendule et, s’il surveille les heures d’arrivée et de départ ainsi que les temps de pause de ses collègues pour en toucher discrètement deux mots au chef quand l’occasion se présente, c’est uniquement pour le bien du service car il trouve qu’il y a beaucoup trop de relâchement.
Ce matin là, il est arrivé à son bureau impeccablement rangé de la veille, assez préoccupé car c’était le dernier jour du trimestre et le service n’avait pas atteint le quota permettant d’obtenir la prime de
rendement. Cette prime trimestrielle était attribuée traditionnellement si le service avait traité un certain nombre de dossiers. Depuis les dernière élections, la notion de “traité” avait été officieusement remplacée par celle de “rejeté”. Hélas, Il manquait un rejet pour atteindre le quota.
Il remarqua qu’un de ses collègues lui avait déposé un dossier au milieu de son bureau. C’était le fameux dossier de l’infirmière, le dernier à traiter et le dernier espoir d’atteindre le quota. Mais malgré sa bonne volonté, ce collègue n’avait rien trouvé qui puisse justifier le rejet. C’était un dossier en béton : une jeune femme de 35 ans, arrivée en France il y a 6 ans, qui a appris la langue, passé son diplôme d’infirmière et élève toute seule sa petite fille de 5 ans en travaillant dur. Ella n’a pas de casier judiciaire et n’a jamais commis d’infraction. De plus, les lettres de recommandation de ses employeurs sont élogieuses.
Il était visible que son collègue comptait sur lui pour trouver une faille, connaissant son acharnement. Il s’en sentit flatté et se mis au travail avec énergie.
Il était en train d’éplucher le dossier quand tout à coup, son coeur se mis à battre plus fort : il avait trouvé une piste ! L’infirmière habitait avec sa fille dans une pièce de 8 m2 pratiquement insalubre au sous-sol d’un immeuble délabré. Il perçu tout de suite que c’était un point faible qu’il pourrait exploiter car de telles conditions de vie n’étaient pas digne d’une bonne française civilisée. Malheureusement, en creusant un peu, il eut une grande déception : l’immeuble en question appartenait à l’une de ses proches relations, qu’il rencontrait tous les dimanches à l’église. C’était un de ses seuls amis et il ne voulait rien faire qui puisse lui occasionner des ennuis.
Il ne se laissa pas abattre et continua ses investigations. Il se mit a éplucher les bulletins de salaire pour voir s’il n’y avait pas quelques trucages à détecter. Mais non, tout était correct. Il s’apprêtait à renoncer quand soudain, il eut une illumination ! Il prit sa calculatrice et mis en évidence que le nombre d’heures de travail mensuelles de l’infirmière dépassait la norme française.
Il tenait là quelque chose de solide et s’empressa de rejoindre ses collègues qui papotaient à la machine à café pour leur exposer son idée.
Il n’eut pas la réaction attendue. Ils avaient l’air dubitatif.
La gentille et discrète Marie prit son courage à deux mains et lui dit : “Mais cette loi a été faite pour cadrer les entreprises et éviter les abus dans le but de protéger les salariés. On ne devrait pas l’utiliser pour nuire à une personne qu’elle est censée préserver”. Il répondit alors d’un ton tranchant : “Ah Marie ! je reconnais bien là la sensibilité féminine. Mais la loi est la loi et elle doit s’appliquer à tous !” Et il sorti son argument ultime : “Alors vous la voulez ou pas cette prime ?”
Ses collègues, un peu gênés se regardèrent sans rien dire et repartir l’un après l’autre vers leur bureaux respectifs, l’un d’entre eux lui murmurant au passage : “Fais comme tu veux”. Seule Marie était restée. Elle n’était pas d’accord, elle avait plein de choses à dire, mais les mots ne venaient pas. Elle le regarda d’un air furieux puis se résolu à abandonner la partie et se dirigea aussi vers son bureau.
D.S regagna le sien tout guilleret. Il avait montré qu’il était le meilleur. Grâce à lui, tous pourrons toucher leur prime trimestrielle revalorisée à 112,18 euros. Et cerise sur le gâteau, le dernier regard admiratif de la douce Marie ne lui avait pas échappé. Il était le héros de la journée.
Il rédigea tranquillement sa notification d’ajournement en savourant déjà sa soirée car, pour fêter cela, il doublerait sa dose habituelle déjà bien généreuse de vieux cognac français pour le siroter tranquillement dans son confortable fauteuil en cuir, en lisant son Valeurs Actuelles, l’esprit serein, conscient d’avoir rempli son devoir au service de son pays.