Bonjour Jhana,
l'accroissement de la masse monétaire n'est pas mathématiquement égal à l'apauvrissement des épargnants. Stricto sensu, l'inflation, c'est l'inflation de la masse monétaire. Mais un abus de langage a fait qu'on utilise désormais le terme inflation pour désigner l'augmentation des prix à la consommation. Avec un 1 € d'aujourd'hui, tu achètes moins de biens qu'avec 1 € il y a 15 ans, jusqu'ici c'est facile.
Petit rappel en passant, la création monétaire n'est pas un monopole des banques centrales. Le système des réserves fractionnaires permet aux banques commerciales de prêter de l'argent qu'elle n'ont pas en dépôt, en contrepartie d'une simple écriture et du respect de règles "prudentielles". La banque commerciale se refinance ensuite soit sur le marché, soit auprès de la banque centrale, généralement les deux.
Le lien entre masse monétaire et inflation des prix (et non pas des actifs, qui n'entrent PAS dans le calcul de l'"inflation"), c'est la vélocité de la monnaie. L'inflation de la masse monétaire se transmet aux prix à la consommation par la circulation de l'argent. Plus l'argent circule, plus la transmission vers les prix se fait. Or, depuis 10 ans, la vélocité de la monnaie est très basse, même si elle augmente un peu en ce moment (désolé, pas eu le temps de trouver un graphe plus récent) :
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Par ailleurs, la façon dont certaines institutions calculent l'indice des prix n'est ni uniforme selon les zones géographiques, ni fidèle à la réalité (mais ceci n'est que mon opinion). En effet, pourquoi le FED se concentre-t-il sur le CPI (consumer price index) "core", c'est à dire l'indice des prix dont on enlève l'alimentation et l'énergie ? Même s'il y a des variations saisonnières liées à l'alimentation, on sait les neutraliser. Comment se fait-il que l'INSEE française utilise pour son indice des prix un panier qui est peut-être moyen selon leurs statisticiens, mais certainement pas représentatif des coûts réels vécus par les Français moyens : pensez-vous vraiment qu'il y a beaucoup de personnes, pour lesquelles le loyer représente 6,1% des coûts ?
Simulateur d'inflation de l'INSEE, copie d'écran de ce matin (_ttps://http://www.insee.fr/fr/statistiques/2418131) :
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Si on voulait se faire une image fidèle de l'inflation, on établirait des profils types. Un employé au SMIC ne subit pas la même inflation qu'un fonctionnaire. Idem pour un citadin et un campagnard. Ces moyennes écrasent l'information et son peu pertinentes. Je calcule mon propre taux d'inflation en fonction de mes coûts depuis 15 ans, et je tourne autour de 3,1 %. On est loin des 1,4% depuis 2000 affichés par l'INSEE.
Pour en revenir à la question initiale du sujet, non les banques centrales (vous comprendrez avec le temps que je hais leur action, mais c'est un autre sujet...) ne sont pas les seules responsables des phénomènes observés. Pêle-mêle, et sans entrer dans le détail car les interdépendances sont complexes :
- Croissance phénoménale des ETF.
- algorithmes. Certaines phases de marché sur les indices font penser à une espèce de perfection toute algorithmique qui n'existe pas quand ce sont des humains qui traitent le marché ;
- depuis 10 ans, le marché cash s'est largement déplacé vers le marché des futures (conséquence de la règlementation, des politiques monétaires, et de la cupidité des intervenants) ;
- les grosses mains, qui sont moins de 10 dans le monde, contrôlent l'immense majorité des transactions. Ce n'est pas neuf, mais de plus en plus prononcé.
- le marché des dérivés a explosé à la hausse (cupidité + règlementation + politique) ;
- Dark pools (conséquence directe de la règlementation).
- Règlementation bancaire et assurantielle : depuis Solvency 2, les règles soi-disant prudentielles concernant les fonds propres flèchent de manière outrancière l'argent vers les dettes souveraines, au détriment de l'économie réelle, c'est à dire les entreprises PME et ETI. Mais ce phénomène n'est pas nouveau, et avait déjà commencé avec le cycle des "Bâle".
- Enfin, et ce n'est pas un facteur à négliger, l'explostion des dettes "souveraines", qui sont le pendant des QE. Songez un instant que pendant la présidence Obama, la dette fédérale a augmenté d'un montant équivalent à la totalité de la dette existant dans l'histoire des USA avant son élection (à un poil près, mais à ce niveau - là, on ne compte plus les poils).
Notez bien que le facteur "cupidité" n'est pas négatif pour moi, c'est juste une donnée humaine. Je n'ai rien contre la cupidité, tant qu'on assume les conséquences de ses actes, tant qu'on prend ses responsabilités. La crise de 2008, sur laquelle j'aurai du mal à ne pas revenir ultérieurement, n'est pas seulement terrible par ses effets, mais parce qu'elle a totalement exonéré les responsables de leur... responsabilité. Le "too big to fail" est une calamité, qui pousse les dirigeants des grandes institutions à prendre des risques excessifs, dont ils ne paieront pas les conséquences néfastes, exactement comme les élus. Après qu'AIG a été sauvé, son patron s'est félicité que son entreprise était désormais considérée comme "systémique". Il considérait que c'était une bonne nouvelle, parce qu'AIG pourrait désormais "expérimenter" de nouvelles stratégies. Ce n'est pas sain, mais lui a eu l'honnêteté de le dire.
Est-ce que la situation actuelle va durer ? Aucune idée. Je ne le souhaite pas, car plus elle dure, plus les conséquences seront douloureuses pour la société dans son ensemble. Quand on malmène le marché, le marché finit toujours par se venger.