Du 24 décembre à la fin de l’année, la France tourne au ralenti… sauf pour les confiseurs. Mais paradoxalement, cette appellation n’a rien à voir avec la profession.
Chaque année en France, entre Noël et le Nouvel An, le pays tourne au ralenti : les institutions s’arrêtent, les cotations à la Bourse aussi, il n’y a plus de match de football, etc.
On appelle cette période, la "trêve des confiseurs". Une appellation plutôt paradoxale quand on sait que cette semaine est généralement marquée par un regain d’activités pour les confiseurs et autres métiers de bouche. Pour comprendre ce paradoxe, il faut remonter un siècle et demi plus tôt dans l’histoire de France.
La République au cœur de cette expression
Nous sommes alors en 1874, et le pays vient juste de sortir du Second Empire et des évènements de la Commune de Paris. La lutte fait rage à l’Assemblée entre les bonapartistes, nostalgiques de l’Empire, les royalistes, nostalgiques de la royauté depuis le départ de Louis-Philippe, et les républicains qui aspirent au retour de la République depuis la révolution de 1848. "A l’approche de ce jour particulier qu’est Noël, les députés de tous bords, qui s’écharpaient sur l’instauration de la République, ont alors décidé de suspendre les hostilités.", explique à Planet.fr Jean Garrigues, historien et auteur de nombreux ouvrages sur le XIXe siècle.
"En fait, il n’y a pas eu réellement de trêve car, si l’Assemblée était calme, des discussions officieuses avaient lieu tous les jours au Palais de l’Elysée avec le général Mac-Mahon et les « centristes » de l’époque sur l’instauration des lois fondamentales qui établiront la République.", reprend-il.
C’est la presse satirique de l’époque qui se moquait des politiques
Reste que "la trêve des confiseurs" date de ce moment-là. "En décidant de mettre fin aux conflits qui les opposait, les députés ont pensé que ce serait aussi un moyen d’encourager le commerce. Et à l’époque, on mangeait durant cette semaine de fête plus de confiseries, une denrée rare en ces temps-là.", explique Jean Garrigues. Quant à l’expression à proprement parler, "elle a été forgée par la presse satirique de l’époque qui se moquait des politiques, souvent des hommes de banquets avec de l’embonpoint.", raconte l’historien.
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Dans ses mémoires, le Duc de Broglie (1821-1901) racontait ainsi cette période : "On convint de laisser écouler le mois de décembre (1874) pour ne pas troubler par nos débats la reprise d’affaires commerciales qui, à Paris et dans les grandes villes, précède toujours le jour de l’an. On rit un peu de cet armistice, les mauvais plaisants l’appelèrent la trêve des confiseurs."
TREVE DES CONFISEURS
Par: (pas credité)
Entre Noël et le jour de l'an, c'est la trêve des confiseurs : c'est comme ça qu'on appelle la mise en sommeil, durant cette période de fêtes, de l'activité politique et diplomatique au départ. Mais par extension, l'expression s'applique à n'importe quelle activité professionnelle qui dételle pendant cette semaine. L'image se comprend aisément : au tournant du solstice, on brave les rigueurs de saison pour mieux se persuader qu'on existe et qu'on est vivant. Bombance, donc ! Et on fait sonner le tiroir-caisse du confiseur. C'est donc la trêve pour tout le monde sauf pour les confiseurs.
Or, le confiseur est un artisan qu'on trouve de moins en moins. C'est que la confiserie (sucreries, bonbons, chocolats, ou même confitures, de la même famille) s'est industrialisée ou tout à fait spécialisée : chocolatier. On peut aussi mettre ça en rapport avec le fait que longtemps, confire, en gros, noyer et cuire dans le sucre, était l'une des rares façons de conserver. Si aujourd'hui, les fruits confits et tout genre sont moins fréquents, c'est qu'on utilise à loisir les conservateurs chimiques, notamment dans les candy bars, davantage conçus pour le distributeur automatique que pour le contact humain.
Pourtant, on voit encore, sur la devanture de certaines boutiques, l'appellation "boulangerie-pâtisserie-confiserie". Et si ces trois activités sont apparentées, c'est grâce à celle du milieu qui, par l'art de la pâte, tient à la première, et par le goût du sucre, à la seconde.
Un coup d'œil ne fera pas de mal, sur ces deux autres beaux métiers.
La pâtisserie n'a coupé les ponts que récemment avec le salé. Le mot est de la très riche famille de "pasta", latin tardif, dont les rejetons sont tout à la fois le "pastiche", le "pastis", le "pâteux" et le "pâté"… Et de fait, le pâtissier du Moyen-âge est essentiellement celui qui fait les pâtés, avant d'être en même temps celui qui fait les desserts et les gâteaux. Mais au XIXème siècle, les rôles sont tranchés entre le charcutier et le pâtissier.
Linguistiquement, la pâtisserie n'est pas spécialement féconde, sinon pour désigner ironiquement une architecture lourde et prétentieuse, notamment la vague saint-sulpicienne de l'après-Commune (Sacré-Cœur de Montmartre, N.D. de Lisieux…). Enfin, un mot rapide pour le rouleau à pâtisserie, symbole d'un matriarcat criard et caricatural.
Quant à la boulangerie, c'est la fabrication du bon vieux pain, puisque la "bolla" germanico-néerlandaise, c'est le pain rond. N'allez pas croire qu'il y a là un rapport avec la boule de pain : c'est une toute autre étymologie. La "boulange" a en tout cas été considérée comme un travail essentiel à la survie sinon de l'espèce, du moins de la société -presque le travail par excellence- ce dont témoigne encore un vieux dicton, qu'on retrouve dans le dialogue du film "Casque d'or" : "Boulot, boulot ; boulange, boulange".
Aura-t-on jamais le temps de mentionner quelques expressions figurées qui dérivent de l'activité du boulanger : "Ça se vend comme des petits pains", "avoir du pain sur la planche"…