Comment apple détruit des iPhone en parfait état de marche
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Par Anne-Sophie Novel
Vous comptez profiter de Noël pour changer de téléphone ? apple promet une seconde vie à votre ancien iPhone si vous le déposez dans l’un de ses magasins. Mais plutôt que de le remettre à neuf, il y a des chances que celui-ci finisse en miettes.
Le média américain Bloomberg Businessweek a enquêté, en avril dernier, sur les combines de la firme à la pomme pour détruire, coûte que coûte, des appareils en parfait état de marche.
Le «marché gris» des iPhone
C’est un entrepôt sécurisé, protégé par un détecteur de métaux et des caméras de surveillance. On l’appelle la «cage à pommes».
Dans cette usine de traitement des déchets électroniques baptisée GEEP, située dans la banlieue de Toronto au Canada, les employé·es savent que le client est exigeant, qu’il paye bien et dans les temps.
Si les volumes à traiter sont gigantesques, on y travaille à la chaîne et on n’ose pas poser de questions. La consigne est stricte : tous les produits expédiés par apple doivent être détruits, même s’ils sont fonctionnels.
Malgré tout, l’usine GEEP est tentée de mettre de côté les nombreux iPhone en état de marche pour les revendre d’occasion.
C’est ce qu’a révélé une inspection surprise menée par apple chez son sous-traitant, en août 2017.
Le magazine Bloomberg Businessweek relate que les auditeurs dépéchés sur place auraient identifié plus de 5 300 kilos de matériel, soit environ 100 000 articles apple, ayant échappé au recyclage.
Aussitôt, la firme rompt son contrat avec la société GEEP, avant de l’attaquer en justice, en janvier 2020. Elle dénonce le «plan soigneusement orchestré» de l’usine canadienne qui a détourné ses produits pour les réparer et les «revendre sur le marché gris», à des consommateurs chinois.
Étrangement, quatre ans plus tard, la plainte du géant de l’électronique est restée lettre morte. L’enquête de Bloomberg Businessweek suggère qu’apple aurait soit réglé la question en privé, soit renoncé à ses poursuites, afin d’éviter que sa politique de destruction ne soit exposée au grand jour.
Car derrière l’ampleur du vol, l’incident dévoile surtout que la firme a forcé ses sous-traitants à éliminer des dizaines de milliers de smartphones qui auraient pu être remis à neuf.
Daisy, le robot recycleur
Pourquoi un tel acharnement à réduire en poussière ces appareils fonctionnels ? Officiellement, les iPhone recyclés valent de l’or pour la firme à la pomme : le recyclage permet d’en extraire les métaux rares — étain, silicone, tungstène, or... — pour les réutiliser dans de nouveaux modèles.
Le recyclage est aussi une manière pour apple de donner bonne conscience à ses client·es. À travers le programme «Trade In», la firme les incite à rapporter en magasin leur ancien iPhone pour passer à une version plus récente, contre un bonus d’achat. «Vous protégerez ainsi les précieuses ressources de la Terre et limiterez le gaspillage tandis que nous contribuerons à un meilleur avenir pour la planète», promet l’entreprise sur son site.
Loin de s’étendre sur ses sous-traitants en matière de recyclage — l’entreprise a refusé de s’expliquer sur GEEP —, le géant de l’électronique communique en revanche volontiers sur les performances de ses robots recycleurs.
Telle Daisy, une chaîne de dépeçage longue de dix mètres, installée aux Pays-Bas, que plusieurs médias français ont pu opportunément visiter au printemps 2024, au moment où paraissait l’enquête de Bloomberg Businessweek.
Dans ces reportages enthousiastes, on lit que Daisy «ne dévisse pas» mais « casse, perce, gratte, compresse et trie», et que ses plans sont disponibles «en open source» pour inspirer d’autres géants de l’électronique et les mener, à leur tour, sur le chemin du recyclage.
1,2 million d’iPhone vendus toutes les 48 heures
Le problème, c’est qu’apple vante ici les mérites d'un robot qui peut traiter seulement 1,2 million d'iPhone par an.
Un chiffre équivalent aux nouveaux appareils vendus par l'entreprise... toutes les 48 heures dans le monde.
En fait, si la multinationale cherche par tous les moyens à détruire les téléphones rapportés par ses client·es, c’est pour éviter que les appareils de seconde main inondent le marché, selon plusieurs experts interrogés par Bloomberg Businessweek.
Elle s’assure ainsi d’un intérêt continu des consommateur·ices pour ses nouveaux produits — quatre déclinaisons d’iPhone par an, en moyenne.
Interrogée par Disclose, Flavie Vondersher, responsable du plaidoyer à l’association Halte à l’obsolescence programmée (Hop), estime «[qu’]apple met ainsi l’accent sur une option qui ne devrait arriver qu’en dernier recours, quand le téléphone est définitivement irréparable».
D’autant que la firme à la pomme semble bien décidée à entraver la réparation de ses appareils.
Fin 2022, l’ONG Hop a porté plainte contre apple pour la «sérialisation» de ses pièces détachées, une pratique qui consiste à faire dysfonctionner un iPhone si l’un de ses composants (écran, batterie...) d’origine est remplacé par une pièce générique. «Cela relève clairement de pratiques d’obsolescence programmée de logiciels, et donc d’appareils», dénonce Flavie Vondersher.
Avec apple, c’est certain, le vert n’est pas dans la pomme.