Le surlendemain, la boîte noire avait encore grandit. Paul en était sûr, là, plus aucun doute. La Oui débordait de son oreiller. La vie continua donc pour Paul le Poth et le seul événement notable dans sa vie était sa boîte noire qui continuait de grandir. Elle grandissait chaque jour un peu plus. Elle finit par occuper toute la chambre à coucher de Paul. Il se réfugia alors au salon pour dormir, l'oreille collée au mur de la chambre, pour pouvoir continuer à entendre encore, et encore, dans son sommeil, la voix magique. Il ne se résolue évidemment pas à se débarrasser de sa Oui, car ses nuits étaient toujours aussi pleines de rêves merveilleux ... Des rêves où il était le plus grand, le plus fort, le plus puissant, le meilleur, des rêves où il voyageait dans le monde entier, où il avait tous les biens dont on pouvait rêver, tous les avoirs, toutes les possessions, toute la technologie, tout ... La boîte noire grandit encore, et le salon de Paul ne suffit bientôt plus, ni la salle-à-manger, ni enfin l'entrée ...
Entre temps, Paul avait commencé à ne plus voir personne. Inviter ses amis ou ses amours chez lui était devenu impossible, car sa Oui était devenue rien moins que discrète, et puis, de toute façon, quoi dire et quoi faire avec tous ces gens avec lesquels il ne pouvait partager sa passion ... Il se disait que les merveilleuses histoires de sa boîte noire valaient bien tous les sacrifices. D'ailleurs, au fond, rien ne l'intéressait plus vraiment maintenant en dehors de sa Oui. Elle était tellement plus captivante, passionnante que tout le reste. Vraiment, finalement, rien d'autre n'était important qu'elle.
Pour cette histoire, je propose au lecteur le choix de deux fins, l'une dramatique et l'autre heureuse.
Pour les lecteurs qui aiment les fins dramatiques, lire la suite :
(pour les autres, merci de ne pas lire la suite et passer directement au paragraphe suivant, fin heureuse)
Alors, une nuit que Paul était en train de faire un rêve merveilleux, recroquevillé dans son entrée, la boîte noire, grandit brutalement une dernière fois, et engloutit le Poth avec le reste de la maison. Le lendemain, les voisins virent une sorte de pierre noire géante à la place. Depuis ce jour, les Poths viennent tous les ans à la date anniversaire de la disparition de Paul, prier pour lui, sa disparition mystérieuse et pour vénérer la grande pierre noire qu'ils ont appelée la Cabane.
La fin heureuse
Pourtant, un jour, ou plutôt, une nuit, Paul ne dut son salut qu'à sa réactivité. Alors qu'il rêvassait, recroquevillé dans son entrée, écoutant le doux murmure de sa boîte, celle-ci grandit brutalement et faillit l'engloutir avec l'entrée. Il réussit à s'échapper in extremis et se retrouva brutalement dehors, à la porte de chez lui. Et, de sa maison, il ne restait que le bâti. Paul, chassé de son intérieur par la boîte noire envahissante, qui engloutissait tout sur son passage, se posa enfin la question de son devenir.
Il prit son courage à deux mains et partit voir Grant Sage pour lui raconter son histoire et lui demander conseil. Comment faire pour concilier l'apport merveilleux et indispensable de la boîte noire dans sa vie avec la continuité d'une existence ordinaire, mais nécessaire à sa propre survie ? Le vieux sage de la tribu des Poth lui répondit que, dès qu'il arrêterait de rêver, la boîte noire allait commencer à rapetisser, jusqu'à disparaître, ou, du moins, atteindre une taille raisonnable, et qu'il pourrait donc rentrer chez lui, et recommencer à vivre normalement. Que la Oui ne prenait autant de place dans sa vie que parce qu'il le désirait consciemment (et inconsciemment). Qu'elle était là pour remplir un vide, le vide de son existence, pas pour le rendre heureux. Qu'il devait, soit remettre cette boîte noire où il l'avait trouvée, soit lui donner une juste place dans sa vie, et ne lui consacrer, au maximummum, que la moitié de son temps, et laisser la place aux êtres humains et à diverses activités, le tout contribuant à lui apporter les éléments complémentaires indispensables à son équilibre et à son bonheur.
Paul écouta le Sage, et décida d'aller demander de l'aide à ses voisins, pour qu'ils l'empêchent de rêver. Il toqua à la porte de Jacques, là quand il le fallait, de Sigmund, son autre freu(n)d. Et, quand il put à nouveau rentrer chez lui, aussi à Mélanie, sa petite amie, de rester dormir et de surveiller ses rêves. Et petit à petit, Paul retrouva une vie normale. Lorsqu'il réussit à dormir à nouveau dans sa chambre, la Oui sous son oreiller, il réalisa que cette situation était la plus parfaite possible et qu'il ferait tout pour qu'elle reste comme cela. Une existence tranquille, un travail au quotidien sur ses rêves, pour qu'ils aient une place, mais pas toute la place. Une vie en équilibre.