Bonne lecture. Mon opinion originale qu’on ne trouve nulle part
donc forcément contestée car inhabituelle et déstabilisante dans la pensée uniformisée du net. Mais j’ai dit mon opinion en argumentant c’est l’essentiel pour ma conscience
Préface de
la psychologie des foules
Écrit en 1895 par
gustave le bon (1841-1931),
la psychologie des foules est un monument dans le domaine de la psychologie et reste une référence, un socle incontournable, pour toute personne souhaitant comprendre ou « ressentir » l’âme des foules. Cet ouvrage a servi de base à de nombreux psychanalystes comme Freud dans
psychologie des foules et analyse du Moi ou plus récemment Didier Anzieu dans Le groupe et l’inconscient : l’imaginaire groupal.
A l'origine de
la psychologie des foules
Le Bon tente de comprendre les mécanismes qui peuvent animer la foule. Mais il faut bien percevoir que sa réflexion s’inscrit dans une époque de grands bouleversements : l’ancien monde et les repères traditionnels s’effondrent.
La Religion traditionnelle vacille comme référence morale, les autorités politiques sont contestées, les royautés millénaires s’effondrent une à une dans un bain de sang au profit de nouvelles idées, de nouvelles structures…
Et de ce nouveau monde, fondamentalement angoissant, comme toute nouveauté, émergent de nouvelles classes sociales. L’ouvrier agricole, encadré jadis par le curé de son village et vivant selon les cycles de la nature, doit rechercher du travail en ville du fait de la Révolution agricole.
En effet, la mécanisation, avec notamment les tracteurs, détruit l’activité des ouvriers agricoles qui vont fuir la campagne, le ventre creux, par millions pour quémander de quoi survivre dans les villes.
Un monde en mutation
L’exode rural a nourri la croissance industrielle. Ils vont trouver tout naturellement leur place dans les usines avec la Révolution industrielle. Cette main d’œuvre nombreuse et sans qualification sera encadrée par le Taylorisme et les syndicats. Ils passeront d’un cycle de vie naturel au rythme du soleil à un cycle de vie artificiel, chronométré et de l’encadrement religieux à l’encadrement syndical. La religion et le syndicalisme ne sont-ils pas d’autres formes de foule très semblables ?
De nouvelles classes sociales apparaissent, le paysan est remplacé par l’ouvrier, l’aristocratie terrienne est balayée par la bourgeoisie d’affaire urbaine. Les Ignobles (ceux qui travaillent) remplacent les Nobles (ceux qui ne travaillent pas) au pouvoir… Un immense bouleversement, un jeu de chaises musicales et une redistribution totale des cartes sont en train de se produire quand Le Bon écrit ces lignes en 1895.
L’auteur vit dans un monde en pleine mutation et il perçoit l’importance des foules dans ces bouleversements, la Révolution française est en filigrane dans toute son analyse. Il tente ainsi de percer le mystère de l’âme des foules pour comprendre son époque. Le Bon est avant tout un homme de son temps qui essaie d’analyser le basculement de civilisation qu’il vit, tel un sénateur romain effaré de l’entrée des barbares dans Rome.
L’âge classique est toujours suivi d’un âge plus baroque avant que le retour du refoulé ne fasse revenir la représentation de l’âge classique comme l’âge d’or. Et un nouveau cycle s’enchaine. Classique, baroque, classique… Où en sommes-nous maintenant ?
la psychologie des foules, ouvrage prophétique ?
On a souvent présenté Le Bon comme un visionnaire.
la psychologie des foules étant la prophétie du nazisme. Il est en effet troublant de voir qu’une foule pour Le Bon se caractérise par l’irresponsabilité, la contagion et la suggestibilité.
Comment ne pas ressentir cela quand on voit les foules de Nuremberg saluer avec frénésie et dans une hystérie collective, Adolf Hitler, le nouveau Maître du Reich qui se voudra Millénaire.
gustave le bon rappelle que « ce que l’observateur voit alors, ce n’est plus l’objet lui-même, mais l’image évoquée dans son esprit. Ce sont les héros légendaires, et pas du tout les héros réels, qui ont impressionné l’âme des foules ».
Une foule ne voit que ce qu’elle veut (peut) voir, entendre que ce qu’elle veut (peut) entendre et elle est soumise à son maitre.
gustave le bon précise que : « Qui sait les illusionner est aisément leur maître ; qui tente de les désillusionner est toujours leur victime ». Ne jamais se mettre contre une foule, toute forme de raison l’a abandonnée, lui ouvrir les yeux fera de vous des boucs-émissaires. Quand on combat une foule, c’est comme un tsunami dévastant aveuglément tout sur son passage. On peut juste se mettre sur le côté et patienter que les « émotions » retombent en espérant que la Raison et la Lumière reprennent leur place. La bonne nouvelle c’est que seul dans la foule, nous pouvons conserver notre identité et ne pas céder à la facilité et au côté obscur de la force qui est de perdre son « âme » et son identité.
Les dangers des foules
La puissance et la dangerosité de la foule résident ainsi dans sa masse qui a pour conséquence de déculpabiliser ses membres par l’anonymisation et de déresponsabiliser l’individu par l’effet de masse. Les travers les plus odieux de l’Homme (haine, jalousie, sadisme…) peuvent éclater en pleine lumière dans l’ombre rassurante de la foule. Le comportements les plus irrationnels y prennent racines. Nous pouvons le voir lors des
krachs boursiers où toutes les actions des entreprises sont massacrées. Il n’y a alors plus aucune rationalité, tout s’effondre dans un mouvement de panique groupal irrationnel. Comme dans une foule, les rumeurs les plus folles circulent et la raison n’a plus de prise. La foule ne fait alors aucune distinction entre une multinationale prospère et une PME en difficulté, tout est vendu dans un tourbillon d’affolement généralisé. Là encore, le trader doit savoir en permanence s’extraire de la foule et penser par lui-même.
Mais, ne vivons-nous pas une nouvelle époque de rupture civilisationnelle comme à l’époque de Le Bon ? Des psychanalystes comme Jean-Pierre Lebrun dans Un monde sans limite ou Charles Melman dans L’Homme sans gravité tirent la sonnette s’alarme.
Ils considèrent que l’Homme moderne n’a plus de limite (comme la foule), qu’il a
tendance à rejeter le "réel" au profit du "virtuel", qu’il y a une perte de la légitimité de toutes les figures de l'autorité (politiciens, professeurs, policiers…). Cela nous rappelle étrangement l’époque de Le Bon en pleine mutation.
la psychologie des foules sur Internet
Mais nous avons une foule nouvelle qui est apparue et totalement impensable à l’époque de Le Bon. Une foule bien plus vaste, dangereuse, déresponsabilisée et anonyme que l’Histoire n’a jamais connu : l’Internet et les Réseaux Sociaux.
Les Réseaux Sociaux sont la quintessence de la foule. Protégés par un apparent anonymat, les instincts les plus noirs peuvent ressurgir : insultes, diffamations, harcèlements, grossièreté deviennent la norme… L’Homme civilisé et poli peut se transformer en monstre derrière son écran. Il peut avoir un comportement qu’il n’aura jamais dans la « réalité ».
Différentes foules selon les Réseaux Sociaux
Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il y a Réseaux Sociaux et Réseaux Sociaux. Un réseau professionnel comme Linkedin ne souffre pas d’insultes et autres misérabilités de la vie humaine. Les gens communiquent avec leur photo, leur nom et prénom, leur identité… A l’opposé, le réseau Twitter qui permet à Bobo72 et Débilos32 de s’exprimer sans donner d’information sur sa personne est un immense défouloir où le meilleur comme le pire peuvent s’exprimer. Mais surtout le pire du fait de l’anonymat. Pervers pépère peut s’exprimer librement comme il l’a toujours rêver et insulter son voisin librement.
Les Réseaux Sociaux agissant sur lui comme une foule, il perd sa capacité de raisonnement, celui qui crie, hurle le plus fort a raison, c’est un grand défouloir des frustrations, des haines… Il y a un effet cathartique évident pour beaucoup et on peut imaginer que la violence virtuelle que ces individus projettent sur leur écran leur fait du bien en apparence. Ils se « défoulent » tout en étant protégé par la foule anonyme de l’internet…
Le
pare-excitation de la société
Si nous positivons, cela aurait pour effet de protéger la société réelle de leur « vraie » personnalité et pulsions. L’internet devenant alors un vaste champ d’expression des tensions libidinales, un
pare-excitation globale au sens freudien. Plutôt que de craquer en société dans le « réel », l’internaute moyen va craquer dans la solitude froide de son bureau, derrière la pâle lueur de son écran sur une autre projection virtuelle. Et voici que Josy72 insulte Bob45… deux projections virtuelles… Cela aurait alors pour effet de faire descendre le niveau global de tension de la société, les frustrés exprimant leur rancœur de manière libre sur internet. Certains Réseaux Sociaux devenant de vastes foules anonymes sans aucun but si ce n’est « se soigner » et décharger son énergie négative.
Le stade du miroir et les foules
Mais hélas ce serait ignorer le « stade du miroir ». Cet anonyme des réseaux sociaux exprimant son fiel avec d’autant plus de jouissance qu’il se croit intouchable, n’a que lui en face de lui. Il ne parle que de lui et de son mal être. Son écran fait « miroir ». Peut-être aura-t-il un jour le recul pour se rendre compte qu’il n’exprime que ce qu’il est au fond de lui ? Sa noirceur lui revient comme un boomerang et s’il se croit anonyme il n’a en fait jamais été aussi transparent, il parle à livre ouvert de sa souffrance.
Mais attention, dans la foule et surtout dans la foule internet, il y a le germe du totalitarisme. L’Effet de masse supposé ou réel, les anges de la vertu, les représentants du peuple virtuel donnent de la voix. Et ainsi un ministre pourra succomber si la foule internet l’exige car le virtuel aura pris le poids sur le réel. Une minorité de
gilets jaunes, bruns ou noirs organisés sur la toile représentera le peuple et par cette auto-proclamation s’attribuera les pouvoirs de tribun de la Plèbe.
Le véritable danger de notre époque est de succomber à la facilité du pouvoir virtuel de la foule... Le Bon avec
la psychologie des foules est peut-être un visionnaire. Mais ce n’était peut-être pas seulement pour le nazisme, mais aussi pour notre époque.