1) Comment j'en suis arrivé là où je suis ?
b) Parcours pro
J'ai pas 19 ans, je trouve mon petit cdi d'employé dans un magasin, je touche mon smic, j'ai mon petit F2, ma copine est toujours à l'université mais s'installe chez moi de peur que quelqu'un d'autre prenne sa place, j'ai l'impression de commencer à vivre, de goûter à la liberté, mais très vite je trouve que la liberté à un goût amer. Une fois mon loyer et toutes mes charges décaissées il ne me reste plus grand chose. Ma voiture tombe en panne, je n'ai pas les moyens de la réparer, mes parents refusent de me prêter de l'argent car je dois "m'assumer comme le ferait l'adulte que je prétends être", finalement mon patron qui est très content de moi (je bosse comme un fou furieux) me dépanne, mais rien y fait je me sens sur le fil du rasoir, à deux doigts de finir à la rue.
Très vite je ne supporte plus mon job, je bosse dans un magasin spécialisé et hormis le réassortiment des marchandises le plus gros de mon boulot est du conseil à la clientèle, et très vite je ne supporte plus non plus ces clients qui trop souvent n'y comprennent rien, font les mauvais choix d'achat, et reviennent se plaindre d'avoir été mal conseillés. Le job est intellectuellement anesthésiant, et je suis surtout trop mal payé, je ne m'en sors pas, j'essaie de trouver mieux ailleurs mais toutes les portes sont fermées car je n'ai ni expérience ni diplôme... je suis piégé.
Je galère comme ça pendant deux ans, deux ans avec pratiquement aucun loisir, deux ans à ne manger pratiquement que des pâtes ou du riz, et du thon en boîte ou des steacks hachés bas de gamme. A côté de ça heureusement je file le parfait amour, mon patron et mes collègues sont vraiment sympas.
Et tout se débloque en l'espace de deux mois. Ma copine qui deviendra ma femme termine l'université et un chasseur de tête venu du Luxembourg lui propose un super job. Au même moment mon patron qui n'est pas de la région (il était venu car il avait repéré une belle opportunité dans le secteur, quasi aucune concurrence) ne supporte plus le coin et veut rentrer chez lui. Mais la boutique tourne du tonnerre donc pas question d'abandonner la poule aux oeufs d'or. Il m'en propose donc la gérance sur place et lui reste propriétaire et prend sa part depuis chez lui. Affaire conclue, pourtant je rêvais de m'en aller mais ma scolarité massacrée va m'handicaper plus que je n'aurais pu l'imaginer. J'avale la pilule en me disant que quitte à être coincé autant faire ce que je peux pour évoluer. Je fais un bon au niveau financier, belle augmentation de salaire, voiture de fonction avec carte essence sans plafond, portable de fonction...
On déménage, fini le petit F2, à nous le super appart, on peut enfin faire des sorties, partir en vacances, acheter une belle voiture pour mme... bref on se fait plaisir et on se dit que ça a été dur mais on a réussi. Tout semble rouler mais le fait est que je hais mon job, d'autant plus que depuis que je suis passé chef c'est tendu avec mes anciens collègues, notamment car je connais toutes leurs astuces pour se planquer et se la couler douce et ils sont donc désormais forcés de travailler
Deux ans passent, confort matériel mais désespoir intellectuel au boulot, et une opportunité pro inattendue se présente. Discussion innocente avec une excellente cliente qui finit par me demander si le patron est mort car on ne le voit plus. Je prétends qu'il est parti investir ailleurs et que c'est moi qui gère la boutique. Elle est épatée car j'ai seulement 23 ans, je dirige une équipe encore plus jeune que moi et pourtant le magasin est nickel, tout est propre et carré. Il s'avère qu'elle est chargée de développer le réseau luxembourgeois d'une très grande compagnie pétrolière. Elle m'invite dans son bureau, je lui raconte ma petite histoire, et elle me dit cette petite phrase que j'ai tellement espéré qu'au moment où elle la prononce je sais déjà que je vais signer, peu importe les conditions : "Nous ne sommes pas en France ici, pour nous les compétences d'une personne comptent plus que ses diplômes. Si vous aviez des diplômes je ne les aurais pas vus, par contre j'ai vu à quel point vous êtes compétent." Bingo, saleté d'égo, elle m'a eu
Une énorme zone universitaire, commerciale, hôtelière... est en cours de construction au Luxembourg, naturellement tous les gens qui s'y rendront auront besoin de carburant et je suis censé prendre la gérance de la station qui s'y ouvrira. La proposition financière qui l'accompagne est colossale. Je rêve éveillé, et j'ai aussi l'impression d'avoir l'opportunité de fermer toutes ces bouches qui m'ont répété que j'aurais pu tout faire mais que j'avais gâché ma vie. Je signe et en attendant l'ouverture je vais travailler sur un autre site pour me former.
Mais ça se passe très mal, il y a une très grande animosité de la part du gérant et j'apprends dès le début qu'il ne voulait pas de moi. La compagnie m'a imposé et il n'a pas eu son mot à dire car ce n'est pas lui qui me paie, et surtout il a des problèmes de rentabilité et la compagnie menace de lui retirer l'enseigne ce qui signerait son arrêt de mort. J'ai beau essayé de le convaincre de mes bonnes intentions il est persuadé qu'on m'a envoyé pour l'espionner et le piéger. Et il s'avère que je constate assez vite qu'il a raison car lors de mes rdv avec la femme qui m'a embauché nos conversations tournent plus autour des problèmes du gérant que de mon projet.
Quatre mois plus tard la décision tombe, on est en pleine
Crise des subprimes et les travaux de la zone ont pris trop de retards, la compagnie refuse d'ouvrir une station au milieu des pelleteuses, elle perd son option auprès du promoteur, je me retrouve comme un cheveu sur la soupe, on a plus besoin de moi, mon contrat devient caduc, on me propose une prime exceptionnelle en guise de
Compensation, par contre pour la toucher je dois m'engager à ne pas poursuivre la compagnie devant les prud'hommes... je prends l'argent et tire un trait sur cette partie de ma vie, ma femme est enceinte, je pourrai profiter de mon premier fils.
Par chance j'avais lancé la construction de ma maison entre temps et j'ai donc eu tout le temps pour la terminer (si tant est qu'élever un bébé laisse du temps mdr) Le deuxième bébé arrive pas longtemps derrière et je passe trois ans à jouer les papas au foyer. Ma grosse prime de "remerciement" m'a permis de vivre tranquillement jusque là mais elle arrive à épuisement, et moi aussi je suis épuisé mentalement, je ne supporte plus les couches, les biberons...
Je n'ai jamais autant lu et approfondi tout un tas de sujet qu'à cette période et les challenges intellectuels me sont devenus indispensables pour gérer mon cerveau hyperactif, mais j'ai aussi besoin de faire quelques choses de mes dix doigts, et j'ai du mal à assumer de n'être que papa au foyer, saleté d'égo.
Sauf que je n'ai toujours pas de diplôme et je reste condamné à recommencer tout en bas de l'échelle sociale. J'ai eu beau avoir étudié en profondeur entre autres la biomécanique, la permaculture ou le stoïcisme dans la vie active ça ne sert à rien. J'enchaîne en dix ans un nombre incroyable de métiers différents, de la restauration à l'hôtellerie, de la sécurité privée à pigiste, ainsi qu'un nombre incroyable de missions intérim... souvent le même scénario se répète car je bosse toujours comme un acharné (je ne sais pas faire les choses à moitié, soit je fais à 100% soit je ne fais pas), on me propose rapidement un cdi et presque à chaque fois une promotion dans la foulée, responsable de ci ou de ça, rien de bien impressionnant mais ça fait toujours mieux en société de monter un échelon, j'accepte alors que je hais le job, juste par égo, saleté d'égo, je finis par craquer et je démissionne. L'histoire se répète toujours.
J'entends encore et toujours la même chose à mon sujet : tellement de potentiel encore et toujours gâché. Ils ont raison, je n'arriverai jamais à rien. Tout m'intéresse, et tout peut me passionner mais une fois le défi intellectuel des débuts passé la routine s'installe et devient insupportable. Ma tête réclame sans cesse des nouveaux défis mais c'est impossible de changer de carrière pro tous les ans, surtout sans diplôme, et je ne peux physiquement plus l'accepter. Je vis une vraie crise existentielle, je suis piégé pour de bon, je ne sais plus du tout quoi faire de ma vie pro, j'ai un problème d'addiction que je prétendais contrôler mais que tout à coup je ne maîtrise plus du tout, je m'écroule, je touche le fond.
Ca dure des mois, je passe mon temps à boire et à m'abrutir massivement sur les réseaux sociaux uniquement pour m'empêcher de penser, je ne vois pas comment me sortir de là, ma femme arrive au bout de sa patience, et je tombe alors par hasard sur une vidéo de Jérémy Ferrari qui raconte sa descente aux enfers et comment il s'en est sorti. Il évoque notamment son incapacité à contrôler ses pensées, des troubles liés à l'hyperactivité... sa cure et comment le diagnostique de ses problèmes lui a sauvé la vie. Je sens qu'il y a un truc à creuser et pour la première fois depuis longtemps je retrouve cette envie de faire des recherches, d'approfondir un sujet.
Je découvre alors ce que l'on appelle en France le TDAH, mais la littérature scientifique ne concerne quasiment que l'enfance. Je découvre par contre qu'en Amérique du nord ce qu'on appelle là-bas ADHD est très étudié chez l'adulte également. Très rapidement je suis convaincu que j'ai trouvé la source de tous mes problèmes car trop d'éléments concordent. Problème de sécrétion de dopamine qui me rend accro à la nouveauté et intolérant à la routine, problème de sur-attention au moindre détail tout le temps, problème d'hyper-focus qui se caractérise par une déconnexion complète du monde lorsque j'entre dans cet état, oubliant même de boire manger ou dormir... et surtout cette hyperactivité cérébrale qui me pousse à tout analyser, à essayer de tout comprendre, de tout apprendre, sans jamais être rassasié, et qui m'épuise, mon cerveau n'a pas de bouton off, je ne me sens jamais reposé.
L'espoir renaît, une médicamentation existe, mais en France le diagnostique qui ne peut être établi que par un psychiatre ou un neurologue semble difficile à obtenir pour un adulte, on considère que les signes sont forcément repérés chez l'enfant. Sauf qu'il y a 30 ans les signes en question se terminaient toujours par une punition donc on apprenait à les cacher, à dissimuler cette partie de soi pour éviter non seulement ces punitions mais aussi le rejet, en anglais on appelle ça le masking, c'est exactement ça, on vit avec un masque, on essaie d'être un caméléon.
Rdv chez le médecin traitant qui ne me prend pas au sérieux, ce sont les enfants qui sont hyperactifs... Il en est certain c'est une dépression et il augmente la dose d'anti dépresseurs qu'il m'avait déjà prescrit la dernière fois. Je n'y ai jamais cru une seconde car même au plus mal je n'ai jamais eu ces pensées noires, je n'ai jamais avalé un seul de ces médicaments, je brûle mon ordonnance en rentrant à la maison.
Je vois un deuxième généraliste, sa femme fait de l'acupuncture alors je me dis qu'il aura peut-être l'esprit plus ouvert. Il s'avère qu'il connaît de loin un psychiatre spécialisé dans le TDAH... chez l'enfant. Il passe des coups de fil à des amis communs et obtient le numéro du psychiatre. Il l'appelle devant moi et le psy révèle qu'il suit de plus en plus d'adultes également. J'ai un premier rdv très rapidement.
A la fin de la deuxième heure de questions/réponses et de discussions le diagnostique tombe, je suis hyperactif (la partie inattention du TDAH ne me concerne finalement pas), j'ai un TSA et je suis HPI.
Pour la partie HPI son conseil est simple, je dois "nourrir" mon cerveau avec tout ce qui peut avoir un intérêt intellectuel, culturel ou émotionnel ; s'il est bien nourri mon cerveau me laissera tranquille.
Pour la partie TSA je devrais normalement passer par un CRA pour confirmer le diagnostique et éventuellement me faire aider si j'en ressens le besoin. Mais il me dit que les CRA sont débordés, les délais d'attente sont souvent supérieurs à deux ans et ils n'arrivent même pas à aider tous les enfants qui en auraient besoin, alors un adulte comme moi qui a réussi à fonder une famille et avoir une vie professionnelle n'a rien à espérer du CRA, et de toute façon il n'y a rien à faire, ça ne se soigne pas, ça s'accompagne seulement.
Pour l'hyperactivité il me dit que la médicamentation est très efficace :"vous avez une formule 1 dans la tête mais elle n'a pas de volant, le médicament va vous aider à fabriquer ce volant".
Il a encore fallu quelques mois pour trouver le bon dosage mais une fois trouvé ça a changé ma vie. Je suis passé du fond du trou au sommet de l'Everest. Mon cerveau tourne toujours aussi vite et sans jamais s'arrêter mais j'arrive effectivement à le maîtriser, dans le sens où je ne me laisse plus envahir et submerger par des avalanches de pensées incontrôlables, j'arrive à garder un cap, je ne fais plus de sortie de route.
La thérapie m'a également beaucoup aidé, notamment en me permettant de me pardonner car je n'avais pas gâché mon potentiel comme on me l'a répété toute ma vie, je n'avais simplement pas eu les armes pour le contrôler et en profiter, comme une formule 1 sans volant.
Peu après mon diagnostique et pendant que je remontais la pente j'avais réussi à décrocher un poste d'agent de maîtrise dans la grande distribution. Poste que je n'ai jamais aimé mais j'y suis resté un an sans prendre de congé, à faire autant d'heure que possible dans le seul but de faire autant de paie que possible uniquement pour mettre de côté autant que possible... le tout pour financer la suite, le vrai projet pro, sereinement.
Car quand j'ai de nouveau eu l'espoir de pouvoir m'épanouir professionnellement je me suis demandé ce qui pourrait me stimuler intellectuellement tout en étant suffisamment varié pour ne pas risquer de tomber dans l'ennui. Je me suis rappelé que mes meilleurs souvenirs scolaires je les avais passés dans un amphi en cours d'économie. J'ai creusé le sujet sur la façon dont je pourrai peut-être en vivre, toujours sans diplôme, j'ai acheté quelques livres dont celui de Benoist, puis l'idée du trading s'est imposée. J'ai rangé mes livres pour ne pas être tenté de quitter la grande distribution avant d'avoir le capital souhaité à investir. Une fois le capital atteint j'ai démissionné, j'ai réouvert mes livres, et ensuite j'ai mangé du trading matin midi et soir sous toutes ses formes jusqu'à l'ouverture de mon
compte démo. La suite est dans mon journal.
Si vous avez eu le courage de lire jusqu'ici vous vous demandez peut-être pourquoi je raconte tout ceci ? Certains trouveront même que c'est déplacé, qu'on "s'en Fiche", que ça n'a rien à faire sur ce forum.
Sachez d'abord que ce que j'ai raconté n'est que la face émergée de l'iceberg, tout est bien sûr plus complexe et le but n'est pas de transposer ici les comptes rendus de ma thérapie. Par contre parler de tout cela fait partie intégrante de la thérapie, en parler c'est assumer et c'est indispensable pour vivre en accord avec soi-même, donc ma démarche est aussi, il faut bien l'avouer, égoïste.
Mais j'ai surtout l'espoir que si ce que je décris ne vous concerne pas, cela vous fera peut-être penser à quelqu'un, vous reconnaîtrez peut-être des signes, et si en parlant à cette personne vous apprenez qu'elle ignore ce qu'est le TDAH, mettez-là sur la voie, je n'exagère pas en disant que si vous voyez juste vous lui sauverez peut-être la vie.
Pour finir, comme je l'ai dit en avant-propos, la psychologie est si importante que ce soit dans la vie ou en trading qu'elle est une arme qu'on est obligé d'avoir dans son camp pour réussir, quelque soit le domaine. Et si vous faîtes l'effort de faire cette auto-analyse ou psychanalyse sincère et véritable avant d'entreprendre un changement d'envergure dans votre vie alors vous constaterez à quel point cette arme est redoutable car elle vous protègera du succès comme de l'échec, elle vous protègera des autres, mais surtout elle vous protègera de vous-même.