Merci
Hommage à un prof d'histoire.
Petite histoire de mes 3 premières années de prof d'histoire en guise d'hommage pour que les gens se rendent compte ce que c'est d'enseigner l'histoire et l'éducation civique dans une société en perte totale de repère. Bien souvent c'est l"Education Nationale le dernier rempart de la République
J'ai été pro d'histoire en Seine Saint Denis, ZEP ZES REP etc. CE qu'il y a "de pire". Menacé par l'Imam du coin en 2001, suite à un cours niveau 5ème sur Mahomet, j'en savais plus que lui :roll: , avec une mini fatwa. Les RG avaient demandé au chef d'établissement que je me mette en arrêt maladie 15 jours le temps qu'il calme (expulse) le dinguo. Heureusement les réseaux sociaux n'existaient pas à l'époque. Je suis revenu 15 jours après et plus jamais entendu parler de ce gars.
C'était l'un des collèges les pires de Seine Saint Denis (le pire selon le rectorat et donc bien entendu j'avais été volontaire (le seul) pour y aller, je n'aime pas la facilité), un grand frère du quartier était le seul français à avoir participé aux attentats du 11 septembre, il s'est fait arrêté avant de monter dans un avion pour faire le kamikaze. Et les RG passaient de temps en temps pour nous demander si le petit frère avait parlé de son grand frère. "Oui, il a dit qu'il était parti quelques mois en Afghanistan". En 2001, on ne comprenait pas encore. La première fois que j'ai vu la tête de Ben LaDen c'était sur les tees shirts des élèves le lendemain du 11 septembre. Aucune idée de qui était ce barbu. 10 jours plus tard sa tête passait à la télé.
La seule présence de l'Etat était le collège qui avait brulé deux fois (sécurisé, vigiles, vidéos et maitre chiens le soir). Le commissariat et la poste ayant trop brulés, c'était à perpet. Deal de drogue au grand air à 50 mètres du collège. Ordures balancées par les fenêtres, et nouveaux nés balancés dans le vide ordure.
obligation de sortir accompagné d'un collègue si on prenait le bus pour renter pour le ramener s'il se prenait une pierre en pleine tête. Bombe lacrymogène dans les couloirs tous les jours. Volet par balles en salle des profs, on avait régulièrement un allumé ou un saoul qui tirait au 22 sur la salle des profs.
Envoyé Spécial était venu faire un reportage, ils sont restés 48h et ils sont partis en disant que c'était impossible de diffuser cela. Ils otn été faire un reportage 2 kilomètres plus loin dans le collège bourgeois de centre-ville en faisant croire que c'était un collège terrible. Et cela a choqué à l'époque les gens qui n'y connaissent rien mais qui parlent de l'école
Diffusion des sourates du Coran dans les bus municipaux plutôt que Radio Nostalgie. Parents en larmes à la réunion parents profs qui avaient fui l'Algérie car menacés de mort (professeur d'université) car ils retrouvaient les mêmes dans le quartier qui faisaient la loi). La lutte pour enseigner la Shoa, identification aux palestiniens, si le week-end il y avait eu un problème dans la bande de Gaza on savait qu'on allait souffrir 48h au collège car les gamins seraient très énervés. Un petit élève a son sac qui tombe par terre en cours, 50 balles de magnum tombent par terre, je les confisques. Le père vient le lendemain pour me péter la tête avec une batte de Baseball car je les avais confisqué. Le petit 6ème voulait frimer devant ses copains. La lutte avec les services sociaux pour signaler les parents qui prostituaient leur gamine de 14 ans au bord de l'autoroute... Et ils répondaient, "on est débordé, ce n'est pas un cas prioritaire, on a bien pire...". On a eu une petite élève qui avait réussi à cacher sa grossesse, qui a accouché seule dans sa chambre et qui a jeté son enfant par le vide ordure. Suicide de collège retrouvé pendu dans les WC... Et des anecdotes comme cela j'en ai des centaines, il arrivait quelque chose tous les jours.
Voilà pour l'ambiance. Tout le monde a du mal à y croire quand je le dis. Alors quand on parle de l'école à la télé des zones difficiles, je zappe toujours, c'est comme le trading, ce sont des gens qui ne pratiquent pas qui en parle généralement, ils ont jamais passé 24h dans un vrai collège perdu et difficile. Le rectorat nous surnommait "les francs tireurs", comprendre on enseignait en territoire hostile. On avait tout l'argent qu'on voulait. J'ai créé des classes expérimentales à 2 profs pour 4 élèves pour tenir les plus durs. On pouvait tout faire, c'était génial. Après quand j'ai quitté ce collège, je devais déposer un dossier et attendre 3 mois pour avoir 500€ de
Subventions pour faire une sortie scolaire
Qu'est-ce que j'ai aimé être prof là-bas, c'était génial, je me sentais utile, je suis resté 3 ans, le plus vieux prof du collège
Ensuite j'ai été vers un poste plus normal pour me reposer. Respecté dans la cité et protégé par les dealers car j'avais les petits frères comme prof principal et qu'ils m'aimaient bien. Je pouvais sortir sans risquer de me faire caillasser ou dépouillé. Les gamins les plus adorables que j'ai rencontré. Les plus perdus aussi. Mais certains ont fait Science Po et de grandes écoles. Comme quoi rien n'est tracé. Après j'ai eu les gamins de préfets et de directeurs de grands journaux comme élèves, ils étaient beaucoup moins sympas
Cela a été mes années les plus passionnantes comme profs, après je me suis ennuyé, il n'y avait pas de challenge et quand je l'ai réalisé, j'ai démissionné
C'était il y a 20 ans, cela doit être bien plus difficile maintenant. J'avais écrit un livre, je racontais au jour le jour ce qui m'arrivait comme jeune prof volontaire dans le pire collège de Seine Saint Denis. Aucun éditeur courageux n'avait voulu le publier.
Je n'en regrette rien, cela a été la période de ma vie la plus intense et intéressante. Si c'était à refaire, je le referai sans hésiter. Une période de ma vie incroyable en émotion et je me sentais vivant et utile. Mais c'est impossible à faire comprendre cette intensité de vie que c'était d'enseigner là-bas. Mes pires et plus beaux souvenirs de profs. Rester un samedi à 12h00 à la sortie du collège avec toute la classe pour continuer le cours sur le parking car ils voulaient connaitre la suite de mon cours et que le collège fermait. Cela change des étudiants défoncés le lundi matin à moitié endormis en train de cuver.
Petit témoignage du quartier des 3000 entre 2001 et 2004. Un quartier sans poste, sans commissariat, il ne restait que le collège comme dernière présence de la République. Hommage aux professeurs qui se battent chaque jour pour diffuser des valeurs de tolérance et de respect de l'autre, qui luttent contre la violence, valeurs qui n'existent plus sur les réseaux sociaux par exemple. Et administrateur du forum, je continue ce combat cela n'a pas beaucoup changé, on lutte toujours contre la barbarie