J.P. Morgan Asset Management
brexit : une onde de choc sur les marchés ou une crise ?
Les investisseurs ont été sérieusement déstabilisés par le résultat du référendum. Mais la surprise des traders de la City ce matin n'est rien comparée à la réaction stupéfaite de ceux qui pensaient qu'ils dirigeaient le pays. Les problématiques économiques et politiques suscitées par ce vote ne seront pas réglées avant des années, voire des décennies. Mais les questions les plus urgentes qui se posent aux investisseurs sont les suivantes : combien de temps l'aversion au risque va-t-elle perdurer sur les marchés ? et quels dégâts va-t-elle provoquer ?
Selon notre première évaluation, il s'agit d'un choc important mais localisé.
L'économie britannique va nettement ralentir. D'après nos meilleures estimations, elle va passer d'un taux annualisé de 1,6 % à environ 0,6 % au deuxième semestre 2016 et sur l'année 2017. Nous prévoyons une hausse de l'inflation à 3 ou 4 % d'ici le second semestre 2017, conséquence directe de la dépréciation de la livre sterling. À titre de comparaison, les dernières prévisions tablaient sur environ 1,7 %.
Nous pensons que la Banque d'Angleterre (BoE) va examiner cette hausse inflationniste et qu'elle va certainement opter pour une Politique monétaire plus accommodante qu'elle ne l'aurait été en cas de victoire des pro-européens. La BoE va afficher sa volonté d'injecter des liquidités en urgence sur le marché, mais elle pourrait bien attendre de voir comment ce dernier réagit au ralentissement de l'activité économique. Nous anticipons également de fortes hésitations de sa part pour défendre la livre sterling. Jusqu'ici, la dépréciation de la monnaie britannique s'est avérée spectaculaire à tous les égards puisque, dans la matinée, elle a chuté à son niveau le plus bas depuis 30 ans face au dollar. Mais l'ampleur de cette dépréciation a été exagérée compte tenu du rebond enregistré avant le vote. De toute évidence, une dépréciation d'environ 10 % ne constitue pas une réaction excessive à un bouleversement politique de cette ampleur.
L'interaction entre les facteurs domestiques et internationaux est mise en évidence par le marché des Gilts, sur lequel les rendements des emprunts d'État à long terme ont à peine évolué en début de matinée. Cela s'explique peut-être par le fait que les flux de capitaux domestiques en faveur du segment obligataire, dus à l'aversion au risque, ont été compensés par les ventes de Gilts à l'étranger. Mais les rendements des Gilts ont brutalement chuté après l'annonce de la démission du Premier ministre, David Cameron. Selon nous, ils devraient s'abaisser encore davantage à terme, en comparaison à ce qu'ils auraient été si le Royaume-Uni avait choisi de rester dans l'UE compte tenu de la faiblesse prolongée des taux que nous anticipons à court terme et que nous avons énoncée ci-dessus. En d'autres termes, nous ne pensons pas que les incertitudes à l'égard de la livre sterling vont entraîner une remise en cause de la solvabilité des emprunts d'État britanniques.
En Europe continentale, la croissance de la zone va être affectée par le résultat et va peut-être donner des raisons supplémentaires à la Banque centrale européenne de prendre de nouvelles mesures d'assouplissement quantitatif cet automne. Si la confiance continue de se dégrader sur les marchés mondiaux, la Réserve fédérale américaine pourrait avoir plus de mal à justifier une hausse des taux d'intérêt au second semestre 2016. Les banques centrales des pays jouissant d'une devise « refuge », comme le yen au Japon ou le franc en Suisse, pourraient également être mises sous pression pour assouplir leur Politique monétaire et éviter que leur monnaie ne s'apprécie bien davantage.
Il s'agit de conséquences sérieuses. Mais dans l'immédiat, nous ne considérons pas que l'onde de choc provoquée par le brexit constitue une menace à court terme pour la reprise mondiale. À terme, nous pensons que cette réalité se traduira sur les marchés hors du Royaume-Uni, et notamment aux États-Unis où les actions ont fortement réagi au résultat d'un référendum qui était censé n'avoir qu'un impact limité sur l'économie américaine. Cela pourrait toutefois prendre un certain temps avant que la situation ne se tasse, et les investisseurs doivent s'attendre à un regain de volatilité en attendant que les responsables politiques au Royaume-Uni, et ailleurs, ne parviennent à maîtriser les conséquences de ce vote historique.
Ce choc très violent pour le Royaume-Uni aura des conséquences économiques et financières sur le reste du monde, mais nous sommes convaincus qu'elles devraient être gérables si tant est que les responsables politiques réagissent de façon appropriée et que les investisseurs conservent leur sang-froid. Quant à savoir si les répercussions politiques pourront aussi être contenues, c'est une autre histoire.
Par Stéphanie Flanders
Chief Market Strategist pour le Royaume-Uni et la zone EMOA