Tribune intéressante dans Le Monde :
« La balance courante est le seul indicateur pertinent pour nous renseigner sur la compétotovité de l’appareil productif d’un pays »
Par Stéphane Madaule (Economiste)
Le 30 août 2018 à 14h42
Donald Trump justifie sa « guerre commerciale » par des statistiques qui ne représentent plus la réalité des échanges économiques à l’heure de la mondialisation, observe l’économiste Stéphane Madaule, dans une tribune au « Monde ».
« La mondialisation des entreprises, la tertiarisation de l’économie, la création de chaînes de valeur mondiales ont rendu obsolètes les agrégats statistiques nationaux qui permettaient autrefois des comparaisons pertinentes. »
« La mondialisation des entreprises, la tertiarisation de l’économie, la création de chaînes de valeur mondiales ont rendu obsolètes les agrégats statistiques nationaux qui permettaient autrefois des comparaisons pertinentes. »
Les statistiques des douanes parues le 7 août laissent apparaître pour la France un déficit du commerce extérieur record de 33,5 milliards d’euros sur les six premiers mois de 2018. L’Allemagne a enregistré sur la même période, malgré la hausse du pétrole, un excédent de 121,5 milliards d’euros. Ces chiffres sont-ils pour autant révélateurs d’un affaiblissement drastique de l’économie française ? Peut-on pour autant faire une corrélation étroite entre la performance ou la compétotovité d’une économie et les résultats de sa balance commerciale ?
Au début des années 1980, lorsque l’économie de chaque pays était peu internationalisée, le solde de la balance commerciale de marchandises avait encore un sens. En effet, on comparait les exportations de biens en volume et en valeur aux importations pour savoir si un pays était compétotof ou non. On jugeait ainsi, par l’évolution de cet indicateur, de la performance de l’outil de production d’un pays au regard de ses exportations et de ses importations de biens.
Bien entendu, ce solde n’avait déjà qu’une signification partielle sur les performances d’une économie à l’international. Il ne prenait pas en compte les échanges de capitaux et les services, soit la balance courante qui, dans certains cas, permettait à des pays de rééquilibrer leur solde financier externe. Car l’important en dernier ressort pour une économie, c’est que les flux en devises qui rentrent dans le pays soient à peu près équivalents aux flux qui en sortent, de manière à ne pas vivre au-dessus de ses moyens en se mettant à emprunter et donc s’endetter pour boucler ses fins de mois.
Le solde commercial déficitaire de la Grande-Bretagne
Le solde de la balance courante est bien plus éclairant que celui de la balance commerciale. A titre d’exemple, un pays comme la Grande-Bretagne a toujours eu tendance à connaître un solde commercial déficitaire, mais il est plus que compensé par des entrées nettes de capitaux, fruit de placements à l’étranger ou encore de l’attrait de la City de Londres pour les investisseurs.
Les activités des banques et assurances sont par définition non comptabilisées dans le solde commercial, et pourtant elles pèsent lourdement dans l’équilibre de la balance courante. En France, pour l’année 2017, le solde des transactions courantes n’est déficitaire que de 13,1 milliards d’euros d’après les statistiques de la Banque de France. L’excédent dû aux seuls services s’établit à 26,5 milliards d’euros.
ON S’EXTASIE SUR LES EXCÉDENTS COMMERCIAUX ALLEMANDS, MAIS ILS SONT LE FAIT D’ENTREPRISES QUI NE SE SONT PAS INTERNATIONALISÉES SUR LE PLAN DE LA PRODUCTION DE BIENS FINIS
Si le solde commercial pouvait à une certaine époque nous renseigner quelque peu sur la compétotovité de l’appareil productif de biens d’un pays, il n’en est pas de même aujourd’hui. L’internationalisation du cycle de production des biens et services, le fait que les grandes sociétés préfèrent ou sont dans l’obligation d’avoir des implantations sur place pour servir les marchés locaux faussent encore un peu plus le raisonnement.
Toutes les entreprises qui travaillent à l’international sont dans l’obligation de fragmenter géographiquement leur cycle de production afin de s’intégrer au mieux dans des chaînes de valeur mondiales. Comment en effet prétendre être le plus compétotof sur l’ensemble d’un cycle de production alors que la spécialisation internationale renforce l’attractivité de certains producteurs régionaux ?
Donald Trump fait fausse route
C’est pourquoi le président américain, Donald Trump, fait fausse route en essayant, par une politique protectionniste, de réduire le déficit commercial des Etats-Unis. Il devrait comprendre que certains de ses champions à l’exportation n’arrivent à de tels résultats que parce qu’ils ont des sous-traitants extérieurs compétotofs auxquels ils ont recours. Il devrait plutôt s’entendre avec les Européens afin d’obliger les Chinois à respecter les normes environnementales et sociales internationales qui faussent la concurrence sur le marché international.
On s’extasie sur les excédents commerciaux allemands, mais ils sont le fait d’entreprises qui ne se sont pas internationalisées sur le plan de la production de biens finis car le « made in Germany » demeure le critère de vente dominant, une marque de fabrique, gage de qualité et donc de marge. En d’autres termes, si l’on souhaite en Chine acheter une voiture de marque Mercedes, on préfère qu’elle soit produite en Allemagne plutôt qu’en Chine. En revanche, si l’on achète une voiture Peugeot en Chine, le consommateur est prêt à l’acquérir, même produite en Chine, pourvu qu’elle ne soit pas trop chère.
La balance courante, le solde des flux monétaires d’un pays – balance commerciale, services, revenus et transferts courants –, constitue aujourd’hui, à l’ère de la mondialisation, le seul indicateur pertinent pour savoir si un pays dépense plus qu’il ne peut, et accroît ainsi son endettement.
Il convient donc de se garder de conclusions trop hâtives en matière d’évolution du solde commercial de marchandises. La mondialisation des entreprises, la tertiarisation de l’économie, la création de chaînes de valeur mondiales ont rendu obsolètes les agrégats statistiques nationaux qui permettaient autrefois des comparaisons pertinentes.
Stéphane Madaule
