Qu'est-ce qu'une Nation ? Analyse du texte d'Ernest Renan
J'ai eu l'honneur de préfacer Qu'est-ce qu'une Nation ?, le livre d'Ernest Renan qui est à la base de l'identité française et de sa conception singulière de la Nationalité.
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Qu'est-ce qu'une Nation ?
Le 11 mars 1882, l’universitaire et académicien Ernest Renan (1823 – 1892) prononce à la Sorbonne une conférence intitulée « Qu’est-ce qu’une Nation ? ». Ce discours rencontre immédiatement un énorme succès qui ne se dément pas au fil du temps.
Salué et acclamé par la presse et ses pairs, étudié, analysé, décortiqué, glorifié, il est le texte de référence qui fait autorité sur la « conception française » de la Nation depuis deux siècles.
Des Républicains patriotiques du XIXème siècle, aux nationalistes barrésiens du XXème siècle en passant par les fédéralistes européens du XXIème siècle, chacun y puise une source de réflexion et de légitimité sur leur conception de la Nation si différente en apparence.
Cela doit nous interroger. Pourquoi la pensée d’Ernest Renan traverse les siècles, les modes et les courants politiques avec une telle agilité ? Qu’est ce qui rend ce texte si particulier et essentiel pour toucher l’âme des lecteurs, de génération en génération et en faire un texte si fondamental ?
A l’origine de Qu’est-ce qu’une Nation ?
Les réflexions de Renan sur la Nation ne surgissent pas de nulle part. Elles sont l’aboutissement de violents débats entre les historiens français et allemands depuis plus d’une décennie. Et l’académicien entend par ce texte clore définitivement le débat.
Il y a pris un soin extrême comme il l’écrit dans sa préface de 1887.
« Le morceau de ce volume auquel j'attache le plus d'importance, et sur lequel je me permets d'appeler l'attention du lecteur, est la conférence : Qu'est-ce qu'une nation ? J'en ai pesé chaque mot avec le plus grand soin : c'est ma profession de foi en ce qui touche les choses humaines, et, quand la civilisation moderne aura sombré par suite de l'équivoque funeste de ces mots : nation, nationalité, race, je désire qu'on se souvienne de ces vingt pages-là. Je les crois tout à fait correctes. On va aux guerres d’extermination, parce qu’on abandonne le principe salutaire de l’adhésion libre, parce qu’on accorde aux nations, comme on accordait autrefois aux dynasties le droit de s’annexer des provinces malgré elles. Des politiques transcendants se raillent de notre principe français, que, pour disposer des populations, il faut préalablement avoir leur avis. Laissons-les triompher à leur aise. C’est nous qui avons raison » (Ernest Renan, Discours et conférences, Calmann-Lévy, 1887).
Mais quel est cet enjeu vital qui a mobilisé les intellectuels des deux côtés du Rhin ?
C’est la question de l’Alsace-Lorraine à la suite de la défaite française de 1870.
Des cendres du Second Empire surgissent deux (re)naissances : la Troisième République en France et l’Empire allemand s’unifiant autour de la Prusse.
Pour sceller la « nouvelle paix » et unité allemande proclamée dans la galerie des Glaces à Versailles le 18 janvier 1871, l'Alsace-Lorraine est cédé par la France à l'Empire allemand en application du traité de Francfort, signé le 10 mai 1871.
C’est ainsi la perte et l’annexion par la force ou le retour et la possession légitime de l’Alsace et de la Lorraine, selon la vision de chaque camp, qui est à l’origine des vifs débats entre les historiens. Et Ernest Renan y tient une place centrale.
Deux conceptions de la Nation s’affrontent
La conception allemande de la Nation, développée notamment par l’historien Theodor Mommsen, est basée sur la race, la langue, la géographie et dans une moindre mesure la religion et la communauté des intérêts. C’est la définition classique de la Nation au XIXème siècle.
Après avoir réfuté ces idées par « l’observation des faits historiques », ce qui est l’essentiel de sa conférence, Renan propose une nouvelle approche de la Nation, révolutionnaire pour son époque.
La conception française de la Nation est une approche volontariste qu’il développe dans la dernière partie de son discours. Tout a été dit sur la pensée de Renan et il la résume lui-même en quelques lignes « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ».
Retenons que la Nation pour Renan est avant tout la volonté de vivre ensemble en acceptant un héritage commun et en ayant le désir de le transmettre et de s’inscrire dans sa continuité historique. Rarement mis en évidence dans les analyses sur son discours, cet héritage commun repose en partie sur l’oubli.
Pour faire Nation, l’oubli est important pour (re)créer un passé en commun vivable. Les Gallo Romains ne font plus qu’un avec les guerriers germaniques francs qui les avaient soumis, les Vendéens doivent oublier les massacres des colonnes infernales de la République pour devenir de bons patriotes. Le pardon puis l’oubli sont au cœur du passé commun parfois mystifié.
Un texte de combat
Mais ne vous y trompez pas ami lecteur, vous avez en main un texte d’anéantissement de la pensée de l’ennemi, une réfutation de la conception allemande de la Nation et de son droit à annexer l’Alsace et la Lorraine pour des raisons raciales, linguistiques, géographiques…
L’Empire allemand ne peut revendiquer ces « territoires français » et Ernest Renan met en garde contre le risque à « s’annexer des provinces malgré elles ». Il ne verra pas la Première Guerre Mondiale, mais il l’avait pressenti. Le nationalisme exacerbé ne peut conduire qu’à une politique de revanche et l’Alsace-Lorraine servir d’étendard à cette cause (nationale).
Ce que la France n’a pu conserver par la force des armes en 1870, elle le revendique par la force de l’esprit une décennie plus tard. Ainsi cette conférence donnée à la Sorbonne a été ensuite reprise, diffusée, commentée, approuvée, anoblie en la présentant comme la conception de la Nation, universelle et ouverte de l’esprit français. Justification ultime des droits de la République française à réclamer réparation des territoires arrachés injustement de son sein.
Une conception française de la Nation à rayonnement limité
Précisons cependant, que cette conception de la Nation ouverte, éclairée et généreuse s’arrête aux rives du Rhin et ne dépasse pas la mer Méditerranée. Ernest Renan, homme de son temps, était favorable à la colonisation.
" La colonisation en grand est une nécessité politique tout à fait de premier ordre. Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche et du pauvre. La conquête d’un pays de race inférieure par une race supérieure, qui s'y établit pour le gouverner, n'a rien de choquant. "
(Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale, 1871).
Mais si ce texte fait encore autant écho en nous, alors que le sujet semble clos sur la possession de l’Alsace et la Lorraine, c’est qu’en interrogeant l’infiniment grand, Qu’est-ce qu’une Nation ? il nous pousse à réfléchir à l’infiniment petit, Qu’est-ce qu’un Français ? et finalement : Qu’est-ce qu’un Homme ?
Benoist Rousseau
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Auteur de l'article :Benoist Rousseau est diplômé de l'université Paris-Sorbonne en histoire économique contemporaine et de la Certification Professionnelle des Acteurs des Marchés Financiers de l'AMF. Il a été professeur d'histoire pendant 12 ans avant de devenir trader en compte propre. Ancien Conseiller en Investissements Financiers, il est aussi écrivain. Son ouvrage "Devenez Trader Pro" est numéro 1 des ventes dans la catégorie bourse depuis de nombreux mois. Intervenant régulier sur TV Finance et divers médias, il est suivi par plus de 150.000 personnes sur les réseaux sociaux.
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2 Commentaires pour Qu'est-ce qu'une Nation ? Analyse du texte d'Ernest Renan
Bravo Benoist,
merci Benoist pour cet article tres interessant. Bon week-end a toi, Benoist.