La stratégie numérique anti Covid de six pays d'Asie orientale
᯾Pour la grande majorité des pays occidentaux, dont la France, la «conversion» aux outils numériques s'est faite plus tardivement, plus partiellement, et plus douloureusement.
Trois outils, tous mis en œuvre en Asie dans un premier temps, se sont progressivement imposés : le contact tracing numérique, dont la finalité est plutôt de freiner la progression de l'épidémie, le passeport sanitaire et le pass sanitaire, ceux-ci visant surtout à accompagner la sortie de crise - même si ces différentes finalités dépendent surtout, en réalité, du moment où les outils sont adoptés.
Si le recours aux outils numériques s'est fait de façon très inégale en fonction des pays, toutes les stratégies ont un point commun : par choix politiques ou par impossibilité matérielle, elles n'exploitent en réalité qu'une très faible part des possibilités théoriques des technologies actuelles, sans même parler des possibilités des technologies à venir. À cet égard, la pandémie de Covid-19 présente une double particularité : c'est à la fois la première fois que le numérique est autant mobilisé, et sans doute la dernière fois où il sera aussi peu.
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Il faut bien comprendre que les données publiées à ce jour, même si elles dépassent déjà très largement la capacité de production de n'importe quelle autorité étatique, sont très en-deçà des données dont disposent réellement les GAFA, en termes de volume comme de niveau de précision.
En recoupant ces données avec d'autres, que détiennent les mêmes entreprises, il serait donc possible de déterminer si un individu se rend au travail ou plutôt chez des amis ou de la famille, s'il exerce une profession «essentielle» lui permettant de sortir de chez lui ou non, s'il a récemment eu des conversations privées au sujet de l'organisation d'une soirée rassemblant plus de dix personnes, ou s'il a effectué des achats en vue d'une telle soirée.
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Alors que la pandémie de Covid-19 n'est pas terminée, et qu'il est probable que celle-ci ne soit ni la dernière, ni la plus forte, il serait irresponsable de ne pas se saisir de telles possibilités.
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Mais la contrainte change de nature dès lors qu'elle s'exerce par un contrôle, le cas échéant assorti de sanctions. Et c'est précisément là que le numérique pourrait être le plus «efficace».
Enfin, dans les situations de crise les plus extrêmes, les outils numériques pourraient permettre d'exercer un contrôle effectif, exhaustif et en temps réel du respect des restrictions par la population, assorti le cas échéant de sanctions dissuasives, et fondé sur une exploitation des données personnelles encore plus dérogatoire.
- Le contrôle des déplacements : bracelet électronique pour contrôler le respect de la quarantaine, désactivation du pass pour les transports en commun, détection automatique de la plaque d'immatriculation par les radars, portiques de contrôle dans les magasins, caméras thermiques dans les restaurants etc. ;
- Le contrôle de l'état de santé, via des objets connectés dont l'utilisation serait cette fois-ci obligatoire, et dont les données seraient exploitées à des fins de contrôle ;
- Le contrôle des fréquentations, par exemple aller voir un membre vulnérable de sa famille alors que l'on est contagieux ;
- Le contrôle des transactions, permettant par exemple d'imposer une amende automatique, de détecter un achat à caractère médical (pouvant suggérer soit une contamination, soit un acte de contrebande en période de pénurie), ou encore la poursuite illégale d'une activité professionnelle (commerce etc.) en dépit des restrictions.
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Le numérique permettrait d'adopter une toute autre logique : au lieu de repérer une fraction dérisoire des infractions mais de les sanctionner très sévèrement, il serait théoriquement possible d'atteindre un taux de contrôle de 100 %, et d'alléger les règles en conséquence.
Par exemple, les seules personnes diagnostiquées positives, soit 65 000 personnes actuellement (0,1 % de la population), pourraient être astreintes à des mesures sanitaires spécifiques (quarantaine), dont le respect serait contrôlé (géolocalisation etc.) et le cas échéant fortement sanctionné.
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Au-delà du strict domaine médical et sanitaire, où l'identifiant numérique de santé (INS) aurait pu, comme on l'a vu, se révéler précieux, c'est l'identité numérique en général qui aurait pu constituer un atout précieux pour la gestion de crise, entre autres bénéfices qui dépassent le cadre du présent rapport.
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Plutôt que de multiplier les recommandations, nécessairement moins fortes et plus techniques, le présent rapport formule une seule grande proposition, pragmatique, qui permettrait de répondre efficacement aux situations de crise - et qui ne ferait que cela. C'est le «Crisis Data Hub», présenté dans la partie suivante.
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Cette proposition est complémentaire des chantiers plus généraux, de plus longue haleine, qu'il faut continuer à mener avec détermination, en surmontant les obstacles et en gagnant la confiance des citoyens. Parmi les chantiers les plus importants, déjà évoqués, on peut notamment citer celui de l'identité numérique, du numérique en santé, et plus largement de tout ce qui permet d'aller vers un État-plateforme, dont la flexibilité permettra de réagir plus efficacement à toute situation de crise, entre autres bénéfices.᯾