J’avais envie de partager avec vous quelques sujets qui me passionnent : l’épistémologie, la biologie des comportements, le système de perception-réaction (SPR). Ces connaissances m’ont été particulièrement utiles dans l’apprentissage du trading. J’espère qu’elles vous plairont et pourquoi pas, vous seront utiles aussi
Commençons par un peu d’épistémologie. Mais qu’est-ce donc que cette drôle de chose ?? Pour aller vite, c’est la science qui étudie la manière dont on pense, qui s’interroge sur « pourquoi on pense d’une certaine manière », sur "comment on connaît le monde". J'essaierai d'expliquer les prochains jours pourquoi ces connaissances sont importantes en termes d'apprentissages, de changement, d'adaptation.
Je commencerai cette séquence « épistémologie » par le « constructivisme ». Encore un gros mot vous allez dire… Il y en aura quelques-uns mais j’essaierai d’y passer un peu de temps chaque fois pour essayer que ce soit clair.
Le constructivisme, c’est l’approche qui considère que la « réalité » est une construction. La plupart des grands chercheurs dans le monde ont aujourd’hui une approche constructiviste : dans les sciences humaines, dans les mathématiques, dans l’intelligence artificielle, dans la psychopathologie, dans la physique quantique....
Voici une petite vidéo pour commencer à appréhender ce dont il s'agit :
Premier élément à comprendre : notre système nerveux central, notre cerveau, reçoivent des informations qu’ils classent d’une certaine manière et qu'ils vont réutiliser plus tard.
J’ai passé un peu de temps pour vous proposer le montage ci-dessous. Qu’y voyez -vous ? Comment l’identifiez-vous ?
Il est remarquable que la première chose que chacun va faire c'est d'essayer de "classer" ces images par ressemble, par similarités. On appelle ces regroupements par catégories, des "classes". Certains y verront des classes d'images d'objets ronds, d'autres des jouets, d'autres des fruits et légumes, d'autres encore ce qui est en lien avec les pompiers... En "réalité" le nombre de classes possibles est déjà très important pour ces quelques images. Lorsque Marco Polo arrive à Sumatra, il voit pour la première fois de sa vie des rhinocéros. N’ayant jamais vu un animal pareil, il croit reconnaître… une licorne. Un animal à quatre pattes avec une corne sur le front ? N’est-ce pas la définition de la licorne telle que les légendes la décrivent alors ? Le problème c’est que les récits traditionnels sur la licorne évoquaient un animal… blanc et gracieux. Or, les rhinocéros qu’il a sous les yeux et qu’il décrit précisément dans son « Livre des merveilles » sont gris, avec « le poil du buffle et les sabots de l’éléphant », une peau épaisse. « Leur tête ressemble à celle du sanglier. Ils la portent toujours inclinée vers le sol. Ils vivent volontiers dans les marais, au bord des lacs. Ils sont très laids ». Marco Polo en déduit… que la licorne ne correspond pas vraiment aux descriptions qu’on en a faites jusque-là !
Comment a procédé Marco Polo pour identifier le rhinocéros comme une licorne ? Et plus généralement, comment procède la pensée face à un objet inconnu ? Nous allons essayer d’en dérouler le processus pas à pas.
Marco Polo a recherché dans ses souvenirs d’expériences passées, ce qui ressemblait le plus à l’objet inconnu qu’il avait sous les yeux. La forme la plus approchante (animal avec une corne sur le front) était la licorne. Il a alors assimilé les deux images : la représentation de licorne qu’il avait dans la tête et la vision du rhinocéros. Mais ce faisant, il a dû apporter des corrections à son concept initial (la licorne est, selon les canons établis, un animal blanc et gracieux…).
Ce que Marco Polo a d’abord fait, mentalement, c’est catégoriser la licorne, c’est-à-dire la « réduire » à quelques caractéristiques essentielles : licorne = « corne », « front », « blanc », « gracieux ». Il a identifié des différences qui « produisent » la figure de la licorne.
C'est Alain Berthoz, un des plus grands neurophysiologistes français, qui a montré que percevoir, c’est choisir, dans la masse des informations disponibles, celles qui sont pertinentes par rapport à l’action envisagée. L’augmentation, par l'expérience, de cette capacité d’extraire les informations pertinentes de notre environnement s’appelle l’apprentissage perceptif. C’est l’un des plus importants processus mentaux utilisés dans notre compréhension du monde.
Pour le trading, la question est "quelles sont les informations pertinentes ?", Celles qui nous seront utiles ? J'y reviendrai dans la semaine...
La catégorisation est une fonction de notre cerveau qui nous permet de regrouper nos connaissances pour les enregistrer plus facilement et pour pouvoir les rappeler plus rapidement lorsque nous en avons besoin. Ainsi, plus que des différences, on pourrait dire que Marco Polo a mémorisé des instructions susceptibles de reproduire plus tard une figure, celle de la licorne : des informations extraites et en même temps déjà orientées vers une utilisation future envisagée. Le cerveau catégorise tout ce qui constitue notre environnement. Pour une raison assez simple d’ailleurs, prenons un exemple. Mon cerveau est bien trop petit pour y faire rentrer un canapé. Il est néanmoins capable d’en fabriquer une image, plus facile à traiter. Fonctionnellement, c’est tout aussi utile et efficace. Je pourrai réutiliser l’image du canapé pour m’en resservir dans d’autres contextes. Mais ça tient beaucoup moins de place dans ma tête. Et ça fait à coup sûr moins mal pour l’y rentrer…
Marco Palo a ensuite enregistré ces informations simplifiées dans sa mémoire, avec le projet de les réutiliser plus tard.
Nous savons aujourd’hui qu’il n’y a pas de mémorisation sans projet de réutilisation dans l’avenir. Par exemple, nous connaissons tous des personnes qui aiment raconter ce qu’on appelle de « bonnes histoires » et qui font preuve en ce domaine d’une culture étonnante. Que se passe-t-il dans leur tête quand on leur en raconte une inédite ? Elles sont déjà en situation de projet de la raconter à d’autres. Le plaisir qu’elles éprouvent en écoutant se nourrit de l’idée du plaisir qu’elles éprouveront en le racontant à d’autres. C’est l’imaginaire de l’avenir qui est le lieu de conservation des souvenirs.
Mais revenons à Marco Polo. La corne du rhinocéros lui a « rappelé » ces informations. Il a alors comparé mentalement l’image qu’il avait dans sa tête (la licorne) et celle qu’il avait sous les yeux (le rhinocéros). Il a généralisé la relation « corne = licorne » (ce-qui-a-une-corne-est-une-licorne) en l’associant et en l’accolant, par analogie, au rhinocéros. A la suite de cette expérience, il a « corrigé » la perception qu’il avait jusque-là d’une licorne, en en conservant le nom, mais en lui associant mentalement les caractéristiques « réelles » du rhinocéros.
Ces différents « gestes mentaux », qui nous permettent de manipuler les informations, sont bien connus et décrits aujourd’hui, par les psycho-pédagogues ou les neuriphysiologistes par exemple.
Le problème, nous y reviendrons, c’est que ces processus de catégorisation, de généralisation, d’association, modulent et orientent notre perception… C’est bien parce que Marco Polo avait « classé » sa rencontre avec la licorne dans la case « corne sur le front », qu’il décide finalement qu’elle ressemblera dorénavant à un rhinocéros.
Ceci dit : pourquoi pas ! A quoi ressemble une licorne pour vous ? Et de votre point de vue, qu’est-qui fait qu’elle ressemble à ça ? Le même mécanisme a été démontré dans une célèbre expérience qui a eu lieu en France, près Bordeaux, dans le milieu viticole. Trois chercheurs ont demandé à 54 œnologues de décrire du vin blanc et du vin rouge, en omettant de préciser qu’ils avaient coloré en rouge une partie du vin blanc. L’odeur du vin blanc, coloré artificiellement en rouge, a été perçu par les œnologues comme étant celle d’un vin rouge. La catégorie « vin rouge » de leur mémoire a simplement été activée et rappelée à la vue de la couleur du verre. Et ils ont associé l’odeur a cette catégorie. Les conclusions de la recherche n’indiquent pas si le vin était bon et s’il en restait à la fin.
Si deux personnes (deux traders par exemple ) regardent le même objet (par exemple le même graphique ), il est fort probable qu’elles n’en extrairont pas les mêmes informations. Elles ne les classeront pas dans les mêmes catégories. Elles n'évoqueront pas la même chose. Elles les rappelleront (ou pas) de manière différente selon les moments et les contextes. Leur perception sera différente. La perception est donc profondément orientée et relative. Pour bien comprendre à quel point notre perception est relative, je vous propose l’expérience suivante, que vous pourrez vous amuser à refaire autour de vous.
Si je prononce le mot « tambour », quelle est l’image qui se forme dans votre tête ? Pour ma part, c’est une image de tambour qui apparaît, peut-être est-ce votre cas.
Mais si vous renouvelez l’expérience autour de vous, en demandant à vos amis, vos collègues, vos enfants quelle est l’image qui se forme dans leur tête à eux quand vous prononcez le mot « tambour », vous allez vous rendre compte que certaines personnes « entendent un son » de tambour, d’autres « voient les lettres du mot » tambour, d’autres encore « entendent le mot » tambour prononcé. La manière que nous avons d’être touché par l’information et de la classer est différente pour chacun, dès le premier contact.
Ce processus de "fixation" des informations dans notre cerveau , c'est ce qu'on appelle l'évocation.
En résumé, les enseignements à retenir de ces premiers pas sur les chemins de la connaissance sont les suivants :
- Nous ne percevons pas les mêmes informations ;
- Nous ne les classons pas de la même manière ;
- Elles n'évoquent pas les mêmes choses pour nous ;
- Nous ne les rappelons pas de la même manière ;
- Le processus de mémorisation dépend du projet que l'on a pour l'avenir ;
- La perception est relative, c'est une construction.
- La processus de perception est toujours doublement orienté :
- par nos expériences antérieures d'une part. Passer de nombreuses heures à chercher des ressemblances dans les graphiques sur différentes ut ou dans les screens des traders d'exception du forum peut par exemple améliorer grandement notre connaissance
- par le projet que l'on a d'autre part. Revoir son projet "à la baisse" permet par exemple de trader plus sereinement