L’ASEAN : une zone hétérogène en quête d’intégration

12 8 2013 - Pas de Commentaire, soyez le premier
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fabien arnaudTitre: L’ASEAN : une zone hétérogène en quête d’intégration

Mémoire de spécialité appliqué

Année: 2011-2012

Auteur: Fabien Arnaud

Ecole:

  • Escem Bachelor
  • Double Dîplome - Université de Gadjah Mada - Indonésie
  • Universidade Nova de Lisboa - Master's degree, Finance

Contact: E-mail - Site Web - Linkedin

Version complète avec annexes et bibliographie en PDF: Fabien ARNAUD mémoire P7

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Problématique: L’ASEAN peut elle réussir à maintenir son processus d’intégration régional et mondial en cas de déclin des grandes puissances économiques actuelles ou de crise grave ?

Résumé
Malmenées par une conjoncture mondiale qui se détériore petit à petit, les grandes puissances économiques se mettent à vaciller. Ultra dominateur depuis plusieurs siècles, l’occident réalise peu à peu que son hégémonie fait de plus en plus partie du passé. Les cinquante dernières années auront vu l’humanité faire un bond en avant sans précédent. Le PIB mondial n’a jamais été aussi élevé. Stimulés par les grandes puissances économiques, d’autres pays ont commencé à tirer leur épingle du jeu, pour à leur tour devenir de sérieux concurrents économiques. Le BRICS composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine et de l’Afrique du sud est bien entendu la première image qui nous vient à l’esprit lorsque l’on parle de l’émergence de nouvelles puissances économiques. Cependant d’autres pays auront bientôt eux aussi leur carte à jouer, et notamment les pays membres de l’ASEAN. Cette association des pays d’Asie du sud-est a certes vu le jour il y a déjà près d’un demi siècle, mais elle commence enfin aujourd’hui à réellement peser dans l’économie mondiale. Les dix pays membres (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam) ont en ligne de mire de renforcer le plus possible leur coopération économique et politique, afin de s’imposer comme un réel bloc et moteur de la zone asiatique. L’intégration régionale est donc l’objectif numéro un du groupe, mais l’intégration mondiale n’en reste pas moins lésinée pour autant. L’ASEAN a conscience des enjeux économiques de demain et sait qu’elle ne s’en sortira pas seule. Son parcours est, et a été, jalonné de turbulences. En particulier la crise asiatique de 1997 qui a fortement déstabilisée la zone et a obligé l’ASEAN à réformer son système financier et son modèle économique. La conjoncture actuelle ralentit l’émergence des pays qui voient leurs exportations diminuer. Sur le plan social l’ASEAN est d’une diversité exceptionnelle, ce qui est une force mais aussi une faiblesse. Aujourd’hui l’ASEAN doit continuer son processus d’intégration si elle veut réussir à maintenir sa croissance. Néanmoins au vu de la conjoncture actuelle mais aussi des propriétés intrinsèques de la zone, on peut se demander si l’ASEAN est maintenant assez mature pour affronter avec plus de résilience les crises internes comme externes.

Les propos tenus dans ce document n’engagent que leur auteur.

Introduction

Le processus de mondialisation, qui a débuté lors du siècle dernier est aujourd’hui lancé à un rythme effréné. Depuis le premier accord majeur en matière de commerce international, le GATT1 ratifié en 1947, le nombre de pays souhaitant se rattacher à ces accords n’a cessé de croître.

Aujourd’hui l’Organisation Mondiale du Commerce compte 156 membres. Le dernier membre à avoir rejoint l’organisation est la Russie après 18 années de tortueuses et âpres négociations. L’accession à l’OMC de la Russie, ancien flambeau de l’économie communiste, signifie beaucoup. Le concept même de la mondialisation est de permettre aux états, en utilisant les différents avantages comparatifs, d’accroître l’offre disponible au-delà de ce qu’aurait pu produire un état en autarcie. Les chiffres parlent d’eux mêmes : depuis la mise en place des premiers accords, la production mondiale s’est littéralement envolée. De 4 081 810 millions de dollars (PPA) en 19502 le PIB mondial est passé à 63 048 823 millions de dollars (PPA) fin 2010. Soit un coefficient multiplicateur de 163 sur une période de 60 ans, alors que sur les 50 années précédentes le coefficient n’avait été que de 4 (PIB 1900, 1 102 096 millions de dollars PPA)4. Cet accroissement a vu l’émergence des grandes puissances économiques actuelles telles que peuvent l’être les Etats-Unis, Le Japon, La Chine, l’Allemagne, La France…

Cependant de nombreux pays ont été laissés de côté et aujourd’hui malgré les règles imposées par l’OMC pour éviter toute déviance du commerce mondial (Anti-dumping, Anti-protectionnisme…) ces pays peinent encore à vraiment se faire entendre sur la scène internationale.

Face aux différents traités économiques régionaux comme l’ALENA ou le MERCOSUR, d’autres pays ont aussi choisi de s’allier économiquement, mais au sein d’associations régionales, en y rajoutant une part politique voire culturelle.

Le but premier de ces rassemblements est de faire baisser les barrières douanières interétatiques mais aussi d’enfin former un bloc assez puissant pour peser dans les échanges régionaux et mondiaux.

C’est dans ce terreau que les majeures communautés économiques se sont formées. Pionnière en la matière, l’Union européenne regroupe aujourd’hui 27 Etats et devrait accueillir son 28ème membre, la Croatie, en juillet 2013. Même si l’Union Européenne apparaît aujourd’hui vacillante pour diverses raisons, elle a inspiré d’autres pays à se rassembler dans d’autres unions comme : par exemple l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est.

L’origine de l’ASEAN remonte à la fin des années 1970, plus exactement en 1967. Mais pour bien comprendre dans quel contexte l’association vît le jour il est important de rappeler qu’à cette époque le monde était divisé en deux blocs. Ce conflit bipolaire dans lequel les Etats-Unis et leurs alliés (OTAN) s’opposaient à l’URSS et ses alliés (Pacte de Varsovie), ne laissait que peu de place pour les pays qui avaient fait vœu de neutralité. L’émergence d’un troisième bloc, qui fut nommé tiers-monde, prit racine dans ce conflit aux allures manichéennes. En 1955, eut lieu la 3ème conférence des non-alignés qui fut tenue à Bandung en Indonésie, présidée notamment par Soekarno président Indonésien de l’époque. Ces conférences avaient pour but de renforcer les liens entre les pays neutres. Bandung reste dans les mémoires comme la première conférence ou ni les USA ni l’URSS ne furent présents. La volonté de rester à l’écart affaiblissait nombre de ces pays et à cette époque choisir le non alignement signifiait s’isoler des flux d’échanges internationaux majeurs. De plus la montée communiste dans les pays asiatiques frontaliers ou non de l’URSS et de ses satellites se faisait craindre. Le seul moyen pour les pays de la zone de s’affirmer économiquement, tout en préservant leur souveraineté était de s’unir dans une association économique et politique. Le premier groupe de la sorte en Asie du sud-est, qui apparut en 1961, l’ASA (Association of Southeast Asia) était alors uniquement composé de la Malaisie, des Philippines et de la Thaïlande. Ce n’est que le 8 août 1967, jour où les ministres des affaires étrangères des 5 premiers états membres se rencontrèrent à Bangkok (capitale de la Thaïlande), que la déclaration de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) fut ratifiée, officialisant sa venue au monde. Les 5 ministres présents ce jour-là sont considérés comme les pères fondateurs de l’association (Adam Malik (Indonésie), Narcisco Ramos (Philippines), Abdul Razak (Malaisie), S. Rajaratnam (Singapour) et Thanat Khoman (Thaïlande)). La pierre angulaire de la construction politique de l’ASEAN fut d’utiliser la peur du communisme pour rassembler les peuples autour d’un intérêt commun, tout en essayant au mieux de limiter les velléités individuelles de chaque état, avec comme ligne de mire d’asseoir une hégémonie régionale. L’accroissement de l’organisation s’est fait petit à petit, pour atteindre aujourd’hui 10 membres officiels. Le Brunei fut le premier état à rejoindre le socle initial le 8 janvier 1984 seulement 7 jours après avoir remporté son indépendance ; Puis le Vietnam fit son entrée le 28 juillet 1995, rejoint deux années plus tard par le Laos et la Birmanie le 27 juillet 1997. On peut noter l’entrée repoussée du Cambodge à cette époque pour cause de dissidence politique interne, signe fort d’une volonté de l’ASEAN d’affirmer une stabilité régionale durable. Le Cambodge rejoindra finalement l’association le 30 avril 1999 après avoir stabilisé son gouvernement. Mais l’ASEAN ne se limite pas à ses 10 membres internes. Autour de cette union gravitent de nombreux états, que ce soit dans l’ASEAN+3 (ASEAN, Japon, Chine, Corée du sud) ou l’ASEAN+6 (ASEAN+3, Australie, Nouvelle Zélande, Inde). Notons cependant que ces états restent cantonnés à la zone d’échange Asie-Pacifique. Attention à ne pas confondre ASEAN+3 ASEAN+6 avec ASEAN 6, ASEAN 5 ou ASEAN 4, ASEAN+3 et +6 représentent l’ASEAN et des partenaires commerciaux extérieurs à la zone. Alors que ASEAN 6 représente les 6 pays les plus développés de l’ASEAN, ASEAN 5 représentent les 5 pays fondateurs et ASEAN 4 les 4 pays les moins développés. Il existe d’autres forums organisés par l’ASEAN comme l’ASEAN Regional forum ou encore l’East Asia Summit où les superpuissances économiques mondiales sont conviées, (Etats-Unis, Union Européenne…) ainsi que d’autres acteurs du développement régional et mondial. Regroupant près de 10% de la population mondiale (600 millions d’habitants) sur une superficie équivalente à 3% de la surface du globe terrestre recouverte par des terres l’ASEAN semble en passe aujourd’hui de s’affirmer définitivement à l’échelle mondiale. Il est aussi important de ne pas omettre sa position géographique très avantageuse qui en fait un réel carrefour commercial de la zone Asie-Pacifique5. Les prévisions de croissance affichent une multiplication par deux du PIB de la zone d’ici à l’horizon 2020 (PIB nominal fin 2011 : 2116 milliards USD ; PIB nominal 2020 : 4401 milliards USD).

Cependant L’ASEAN va devoir faire face à des enjeux énormes. L’ASEAN a jusque ici réussi à faire face aux différentes crises, qu’elle a traversées avec plus ou moins de résilience. En revanche la donne a changé aujourd’hui : les grandes puissances vacillent pendant que de nouvelles émergent. Un ralentissement mondial pourrait sonner le glas des économies émergentes d’Asie du sud-est, majoritairement basées sur l’exportation, d’autant plus que la compétition entre pays émergents se fait de plus en plus âpre. Mais le facteur économique n’est pas la seule perspective de turbulences de la zone. En effet des désaccords politiques au sein même de la zone se sont déjà fait ressentir. Plus important encore l’appétit Chinois, qui a déjà envenimé bien des conflits dans la région, pourrait ternir encore plus le tableau. Face à ces réelles menaces, il est important de voir comment l’ASEAN pourrait réagir pour pérenniser son intégration sur le long terme que se soit à l’échelle régionale ou mondiale.

1 L’intégration régionale et mondiale de l’ASEAN

1.1Intégration économique de l’ASEAN

1.1.1L’intégration intra ASEAN

L’ASEAN réalise aujourd’hui son premier objectif : la réduction totale des tarifs douaniers dans la zone.

En effet fin 2010, 99,11% des tarifs douaniers au sein de l’ASEAN 6 (les 6 pays les plus développés de l’ASEAN à savoir, Indonésie, Thaïlande, Malaisie, Singapour, Brunei, Philippines) avaient déjà été réduits à zéro, pendant que dans l’ASEAN 4 (Cambodge, Laos, Vietnam, Birmanie) 98,6% des tarifs douaniers sont maintenus entre 0% et 5%6. L’objectif fixé d’arriver à une zone de libre échange totale aux alentours de 2015 est sur la bonne voie.

Cependant, l’intégration au sein de l’organisme reste en chantier. En effet même si divers projets, comme la création d’un visa unique pour la zone devraient voir le jour aux alentours de 2020, la majeure partie du travail reste à faire. Suivant le développement classique d’une zone de libre échange le prochain projet devrait être le passage à une union douanière avec harmonisation des tarifs communs de la zone sur ses partenaires extérieurs. Viendrait ensuite, cumulant le projet de visa commun et d’union douanière, un marché unique, correspondant dans l’union européenne à l’espace Schengen. Cependant un marché unique implique une libre circulation des hommes autant que des capitaux. Or le projet de visa commun dévoilé à ce jour n’est pas encore assez avancé pour garantir que les hommes pourront circuler librement dans la zone, notamment pour trouver du travail dans un autre pays membre. Actuellement, les politiques d’immigration sont très strictes. Par exemple un étranger doit, pour travailler sur le territoire Indonésien, disposer d’un permis de séjour (Kitas) spécifique, l’autorisant à travailler, et cela qu’il soit originaire d’un pays membre de l’ASEAN ou d’ailleurs.

A terme l’ASEAN devrait toutefois déboucher sur une union économique et monétaire, même si la très grande hétérogénéité7 économique et politique de la zone risque de ralentir l’arrivée d’une réelle harmonisation des politiques monétaires et budgétaires.

1.1.2L’intégration de l’ASEAN au commerce régional et mondial

L’ASEAN a longtemps privilégié les échanges internationaux avec les grandes puissances économiques comme l’union européenne ou encore les Etats Unis d’Amérique. La tendance est en train de s’inverser et on assiste de plus en plus à un recentrage des échanges au sein même de la zone ASEAN ou ASEAN+3, signe avant-coureur de la totale disparition des barrières douanières mais aussi d’un développement économique bien plus avancé. Même si les populations de l’ASEAN sont encore loin de pouvoir absorber toute l’offre de la zone, leur demande n’a cessé de croître ces dernières années, ouvrant de nombreuses possibilités pour les entreprises locales

Ce recentrage est aussi nettement visible à l’échelle régionale où les flux qu’ils soient d’import ou d’export avec les plus proches partenaires économiques se sont réellement intensifiés.

L’ASEAN est aujourd’hui la région d’Asie la plus internationalisée avec Taïwan. Son ratio exportation/PIB dépasse de loin les autres puissances locales comme la Chine, la Corée du sud ou le Japon. Mais la zone montre des disparités énormes : Singapour affiche un ratio exportation/PIB de près de 190%, suivi en seconde position par la Malaisie avec 90%, alors que l’Indonésie, pays le moins ouvert, affiche 20% et de surcroît sur les 20 dernières années a toujours oscillé entre 20% et 40% sans jamais les dépasser89. Certes l’Indonésie a gagné en parts de marché dans le commerce extérieur de l’ASEAN, passant de 12% en 2000 à 15% en 2010 mais cette part reste minime compte tenu de son impressionnant PIB qui représente près de 45% du PIB total de l’ASEAN.

L’ASEAN poursuit son internationalisation, elle trône désormais au 4ème rang dans la part des échanges mondiaux avec 7% des parts. Elle devance des pays comme la France ou encore le Japon mais reste cependant loin de la Chine et des Etats-Unis qui en possèdent respectivement 11% et 12%10. Cependant, notons que l’ASEAN sur ces 10 dernières années a changé sa gestion des importations et exportations. Au début du XXIème siècle les parts additionnées du Japon, de l’Europe et des Etats-Unis représentaient 45.1% des importations et 46.9% des exportations alors qu’elles ne représentent aujourd’hui que respectivement 31.1% et 28.1%. Ce changement effectué au détriment de ces trois grandes puissances économiques s’est reporté sur les échanges au sein de l’ASEAN et dans sa région, notamment avec la Chine11.

Les partenariats commerciaux de l’ASEAN dans sa région sont très contrastés. En effet les flux majeurs sont reliés au Japon, à Taïwan, à la Corée du sud ainsi qu’à la Chine et montrent de grandes disparités suivant les pays. Par exemple Singapour représente à lui seul 32% des échanges avec Taïwan et 28% des échanges avec la Corée du sud. Alors qu’en comparaison la Thaïlande représente 29% des échanges avec le Japon et 21% avec la Chine12. Chaque état de l’ASEAN est pour ainsi dire spécialisé dans le commerce avec deux, trois états de la région. Cela ne les empêche pas bien sûr de commercer avec plus de partenaires régionaux mais avec des flux moindres.

1.1.3L’intégration à la zone d’échange Asie-pacifique

Il est important de séparer l’intégration régionale de l’ASEAN, c'est-à-dire avec ses plus proches voisins, de l’intégration de l’ASEAN dans la zone Asie-Pacifique. Cependant cette zone d’échanges privilégiés représente une très grande partie du globe puisque composée du continent asiatique, et de l’Océanie. A l’instar de l’ASEAN les pays de la zone Asie-Pacifique sont regroupés au travers de divers accords. Ces accords sont de natures diverses et variées. Ils peuvent être bilatéraux, plurilatéraux, ou encore régionaux. Certains pays cumulent l’appartenance à plusieurs de ces accords. A l’heure actuelle 190 accords commerciaux ont déjà étés ratifiés dans la zone, dont 128 sont déjà rentrés en vigueur13. Ces accords sont mis en place entre plusieurs états de la zone Asie-Pacifique mais aussi parfois avec des pays extérieurs. Les économies du sud-est asiatique ayant tendance à privilégier les relations avec l’Amérique du sud ou les Etats-Unis. Singapour est d’ailleurs le leader de toute la zone en termes d’accords déjà en place (20 accords). La Thaïlande n’est pas en reste et se classe quatrième (16 accords). Les accords couvrent majoritairement la libéralisation des biens (58 accords) suivis par les services (41 accords). Malgré tous ces accords commerciaux, il n’existe que trois unions douanières, dont une entre un pays et un autre bloc régional (Turquie-UE). Les accords plurilatéraux et régionaux regroupent entre 4 et 15 membres au maximum, la moyenne étant de 8 membres sur l’ensemble des 15 accords de ce type.

Au sein de cette zone l’ASEAN fait donc figure de pionnière en matière d’harmonisation des droits de douanes mais aussi en termes de nombre d’accords. L’ASEAN apparaît bien intégrée à l’ensemble de la zone. Notons qu’elle en est le seul bloc de pays. Cependant il existe une ombre au tableau. En effet comme nous pouvons le voir dans le noodle bowl14, nombre des accords effectués par les pays membres de l’ASEAN se font à titre individuel et non au nom de l’ASEAN. Cela implique que les pays n’agissent pas dans l’intérêt collectif de l’association mais plutôt pour leurs intérêts nationaux. Le constat est général à la zone, au lieu de s’unir au sein d’accords de plus en plus vaste les pays préfèrent avoir un socle commercial avec les pays mitoyens et des accords commerciaux traités de pays à pays. Cependant seul réel bloc l’ASEAN ne peut que commercer de bloc à pays en restant dans la zone ce qui n’encourage pas vraiment les pays membres à faire front commun en terme d’accords extérieurs. Mais rien n’est de plus fait pour obliger les membres à harmoniser leurs politiques commerciales extérieures. A noter qu’en dehors de la zone Asie-Pacifique l’ASEAN n’est pas plus unie : la quasi-totalité des accords étant signés de pays à pays.

Cela met en évidence deux points majeurs, premièrement l’intégration au sein de l’ASEAN n’est pas encore assez forte pour que les pays membres appliquent une politique économique extérieure commune. Deuxièmement l’intégration des pays membres de l’ASEAN à la zone d’échange Asie-Pacifique est indéniablement forte, mais, l’intégration de l’ASEAN comme un bloc est, elle, en retrait. Cela peut certainement s’expliquer, d’une part par l’hétérogénéité de la zone qui pousse les membres à commercer hors ASEAN avec des pays plus proches de leurs caractéristiques, d’autre part par l’absence d’un autre bloc de pays dans la zone, ce qui ne facilite pas la fédération des accords autour de pôles communs.

1.1.4Les investissements directs à l’étranger

L’ASEAN 6 est de loin la région d’Asie la plus ouverte aux investissements étrangers. En effet avec près de 911 milliards de dollars en 2010, ses stocks IDE représentaient près de deux fois les stocks IDE en Chine. Force est de constater que les pays de l’ASEAN sont des pays attractifs pour les investisseurs. En revanche il existe une réelle dichotomie au sein de la zone en termes d’attractivité. Singapour à lui seul engrange plus de 50% des stocks IDE (470 milliards de dollars) alors que les Philippines n’en engrangent que 3% (25 milliards de dollars)15.La Chine reste cependant privilégiée depuis une vingtaine d’années, bien que l’ASEAN soit le second « pays » d’ASIE en termes d’IDE sur cette période.

L’importance des IDE pour les pays émergents est grande. En effet ils assurent une bonne partie de la croissance et sont bien souvent un des éléments majeurs de l’économie. Dans l’ASEAN 6 les IDE représentent 4,5% du PIB, de plus leur faible volatilité sur les vingt dernières années est un gage majeur de stabilité.

Les principaux investisseurs de l’ASEAN sont, bien entendu, des compagnies européennes, américaines ou encore japonaises. Mais depuis quelques années on assiste à une croissance des IDE entre pays membres de l’ASEAN. En exemple, Singapour correspond aujourd’hui à 23% des IDE indonésiens et est de ce fait le premier investisseur étranger. La Malaisie quant à elle représente 9% des IDE au Vietnam et se classe 3ème investisseur. En revanche même si les IDE au sein de la zone se sont densifiés, leurs parts, à l’exception de Singapour, restent minimes comparées aux apports de la triade (Etats-Unis, Europe, Japon). La Chine quant à elle, a beau être un des partenaires commerciaux les plus proches de l’ASEAN, cela n’en fait pas pour autant un gros investisseur. Les IDE émanant de Chine ne représentent que de faibles portions des IDE en ASEAN. La plus grande participation étant en Indonésie avec 4.2%, ce qui peut s’expliquer en grande partie par la forte communauté chinoise vivant dans la république indonésienne.

1.2L’intégration monétaire et financière de l’ASEAN+3

L’ASEAN ne compte au sein de ses membres qu’une seule place boursière de rang mondial : Singapour. Elle se classe 4ème dans le classement des places boursières derrière New York, Londres et Hong Kong, en revanche sa capitalisation est cinq fois inférieure au 3ème du classement.

Les autres places boursières de l’ASEAN faisant figure de places mineures à l’échelle mondiale (Kuala Lumpur 45ème, Bangkok 61ème, Jakarta 63ème…), la majeure partie du système financier repose sur le secteur bancaire. Après la crise asiatique de 1997 ce dernier a été restructuré (concentration, privatisation, ouverture aux participations étrangères et diversification des produits) pour être plus apte à résister. Son impressionnante résilience à la crise de 2008 vient confirmer l’idée que cette restructuration est un succès.

Les principaux risques des établissements bancaires ont été fortement réduits. Les banques ont réussi à endiguer leur problème de liquidité. Le ratio de solvabilité des banques Malaisiennes affichait 14.8% en moyenne et celui des banques Indonésiennes 17.2% fin 201016. Le risque de « credit event » (entre 2 et 3.9%)17 a été lui aussi fortement réduit et les provisions sont suffisantes pour y faire face. Les banques se financent majoritairement via leur dépôt comme le montre le ratio prêts-dépôts inférieur à 100% (il oscille entre 75% et 81.3%18). Nous pouvons d’ores et déjà affirmer que les banques de l’ASEAN n’auront aucun mal à remplir les critères de Bâle III, en gardant à l’esprit que les 3 banques Singapouriennes remplissent déjà toutes les exigences.

Depuis la crise de 1997. L’ASEAN a dû modifier sa structure pour repartir sur des bases de croissance plus saines. La crise mondiale de 2008 n’a fait qu’accentuer ce processus déjà bien engagé. Nietzsche disait : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ». Force est de constater que cet adage correspond bien à l’ASEAN ! En effet les majeures évolutions au sein de l’association sont toujours advenues après une crise. Après l’apaisement du SMFI au début des années 2000 (Système Monétaire et Financier International) et le retour à une stabilité d’avant crise, l’ASEAN a tout de même décidé de poursuivre son intégration monétaire et financière par le biais de deux grands projets : l’ICM (L’Initiative Chang Mai) et le ABMI (Asian Bond Markets Initiative).

1.2.1L’Initiative Chang Mai

L’ICM voit le jour en mai 2000 : les pays membres de l’ASEAN+3 reconnaissent la défaillance et la fragilité du SMFI durant la crise de 1997 et décident d’établir une coopération régionale ayant comme but principal de répondre aux besoins à court terme de liquidité. Cet accord se compose de deux volets. Le premier est basé sur le renforcement des systèmes de surveillance et des échanges d’informations. Ce processus fut mis en place en 1999 et est plus connu sous le nom anglais d’ASEAN+3 Economic Policy Review and Dialogue Process (EPRDP).

Il assure cinq fonctions principales :

  1. Evaluer les conditions économiques nationales, régionales et globales

  2. Contrôler les flux régionaux de capitaux.

  3. Identifier les risques financiers et macro-économiques aussi bien que les politiques réduisant de tels risques.

  4. Renforcer les structures des systèmes financiers et bancaires.

  5. Fournir une voie asiatique dans la réforme du système financier et international.

Afin d’assurer la bonne fonction de cet accord les 13 ministres des finances ainsi que le secrétaire général de l’ASEAN se regroupent deux fois par an pour ajuster leurs actions.

Le second volet repose sur l’amélioration de l’offre de ressources. Il s’agit d’accord de SWAP19 établie entre les banques centrales des pays membres de l’ASEAN et élargie aux pays de l’ASEAN+3.

Malgré un net regain de croissance, les treize pays continuent de perfectionner et de renforcer leur engagement. Deux groupes de travail voient le jour en 2006 : le GOE (Group of Experts) et le ETWG (Economic Technical Working Group), avec comme but d’améliorer la surveillance macro-économique de la région. Le second volet connait lui aussi une nette amélioration depuis sa mise en vigueur : au total seize accords de SWAPS bilatéraux sont signés, avec une évolution des montants conséquente (36.5 milliards en 2003 contre 75 milliards en 2006, et 90 milliards en 2009).

1.2.2The Asian Bond Market Initiative

L’ABMI mis en place officiellement en août 2003, vient compléter le renforcement de la coopération monétaire de l’ASEAN+3. Il est le second pilier du régime régional est-asiatique. Son but principal est de rendre les marchés obligataires plus fluides en permettant une meilleure utilisation de l’épargne asiatique pour les investisseurs asiatiques. Sa création initiale avait pour objectif de couvrir les lacunes mises en avant par la crise de 1997. Cet accord comporte lui aussi deux volets, le développement des marchés primaire et secondaire des obligations, en mettant l’accent sur l’amélioration de leur structure ainsi que sur leur offre (favoriser la diversité des émetteurs et des produits). L’accord met en place quatre groupes de travail ayant chacun une thématique différente :

  1. Création de nouveaux instruments de dette sécurisés.

  2. Instauration des garanties de crédit et de mécanismes d’investissement.

  3. Amélioration des transactions de change et de règlements.

  4. Elaboration d’un système de notation et la diffusion de l’information.

Pour soutenir ce projet et le rendre plus accessible l’ASEAN a mis en ligne un site internet « Asia Bond Monitor » disposant de tous les indicateurs clés des obligations est-asiatiques. Disponible également sur le site, une section explique comment fonctionnent les obligations et comment on pourrait en acquérir une. Il est à noter qu’un glossaire a été élaboré pour épauler les moins aguerris aux termes financiers.

A l’instar de l’ICM, malgré un retour à une forte croissance, ce processus continue d’être renforcé. Six ans après son lancement, le bilan était sans appel : la taille du marché obligataire avait été multipliée par 3.6, passant de 1202 milliards de dollars en 2003 à 4417 milliards de dollars en 200920.

1.2.3Un bilan contrasté

Il est indéniable que des efforts ont été faits par l’ASEAN pour stabiliser l’ensemble de son système financier et monétaire. Cependant, bien qu’à l’échelle régionale (ASEAN+3) le marché obligataire apparaisse développé, à l’échelle mondiale il ne représente qu’une très faible part des émissions d’obligations (1.2%)21. Bien entendu la situation est très contrastée suivant les pays : le marché obligataire malaisien représente 114% de son PIB tandis que le marché obligataire Indonésien ne représente que 20% de son PIB22. De plus, la majorité des encours sont des obligations d’états (elles représentent entre 51% et 86% des encours totaux)23. Seul Singapour et la Malaisie ont des entreprises qui représentent une part importante des encours. Une fois de plus il convient de repositionner ces éléments dans le contexte mondial : en effet même dans ces deux pays les entreprises peinent à émettre des obligations avec une maturité supérieure à 10 ans, et les transactions sont peu fluides. Une fois sur le marché secondaire elles se cantonnent bien souvent dans le portefeuille de l’acheteur initial.

D’un point de vue international les politiques adoptées par les états sont assez différentes. Le marché obligataire, par exemple de l’Indonésie, est à 31% détenu par des investisseurs étrangers alors que celui de la Thaïlande est détenu à seulement 7% par des investisseurs étrangers. La plus grosse différence se situe toutefois sur la capitalisation : Singapour affiche un ratio capitalisation/PIB de 297% alors que l’Indonésie n’affiche que 51%24. A l’exception de Singapour qui a basé toute sa stratégie financière sur ce procédé les places boursières sont peu internationalisées (peu d’entreprises étrangères y sont cotées). Néanmoins la détention des capitaux par des investisseurs étrangers est assez élevée. Suivant les états, elle va même jusqu’à représenter 70%25 de la capitalisation en Indonésie.

Pour diverses raisons, et notamment endiguer la formation de bulles spéculatives, les pays de l’ASEAN tendent à limiter la part des capitaux achetables par des investisseurs étrangers. Un procédé longtemps utilisé par les pays d’Asie du sud-est était de scinder la capitalisation globale en deux groupes A et B et de ne laisser les investisseurs étrangers n’avoir accès qu’à la partie B, ce qui permettait de limiter leurs investissements.

1.2.4La naissance du fonds monétaire asiatique

En 1997, le Japon avait émis l’idée d’un fonds monétaire asiatique (FMA), mais, ayant essuyé de nombreuses critiques, le projet fut délaissé. Cependant la crise de 2008-2009 à ravivé la volonté des états asiatiques et notamment de l’ASEAN d’être mieux protégés de la mauvaise conjoncture mondiale. C’est ainsi qu’en 2009 après de multiples délibérations sur les modalités des mécanismes de surveillance ainsi que sur la participation de chaque membre, le FMA vit enfin le jour. Le fond est alimenté par l’ASEAN+3 et s’élève à 120 milliards de dollars (le Japon et la Chine ont chacun fournis 32%, la Corée du sud 16% et l’ASEAN 20%. Il est à noter que 95% des fonds de l’ASEAN viennent de l’ASEAN 5).

Malgré une forte volonté affichée, l’ASEAN peine à s’intégrer financièrement. Le prochain grand pas devrait être l’interconnexion de toutes les places boursières de la zone à l’horizon 2013.

 

2Les impacts, et les leçons tirées, des différentes crises sur l’ASEAN

Une parfaite prédiction du futur est irréalisable, aucun être sur terre n’étant doté d’omniscience. Cependant il est possible d’envisager des schémas. La plupart des hypothèses que nous sommes à même de formuler découlent directement du passé. Comme le disait Goethe : «Celui qui ne sait pas tirer les leçons de trois mille ans d’Histoire vit au jour le jour ». En effet pour comprendre les potentiels impacts d’une crise économique sur l’ASEAN et ses réactions, il est important de comprendre ce qui a bien pu causer les précédentes crises, qu’elles soient à l’échelle régionale ou mondiale. Une bonne analyse du passé pourrait permettre de ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs et donc peut d’être d’éviter que de telles situations se reproduisent.

2.1La crise japonaise, premier signe d’instabilité régionale

Durant les années d’après-guerre, le Japon était vu comme la puissance émergente qui allait finalement détrôner le géant américain. Cette forte expansion est communément appelée «Le miracle japonais ». Pour preuve les MBA de l’époque orientaient leur enseignement sur la connaissance des japonais et de leurs méthodes. Leur productivité, efficacité industrielle et capacité à innover semblaient inattaquables en tous points. Nous avons tous en tête l’avènement, durant cette période, de la nouvelle organisation du travail, le « Toyotisme », longtemps pris en exemple comme fer de lance de l’économie japonaise.

2.1.1Une dépendance forte des exportations

La crise qui a frappé le Japon de plein fouet est venue d’un cercle vicieux dans lequel s’était embourbée l’économie japonaise. Les banques japonaises, sous la régulation du gouvernement, avaient des taux d’intérêts extrêmement faibles26, ce qui rendait le retour sur épargne très faible pour les citoyens japonais. Cependant, le pays étant dénué de toute de tout système de retraite, le taux d’épargne était très élevé. En effet si les Japonais voulaient pouvoir un jour être à même de prendre une retraite ils devaient économiser tout au long de leur vie.

Or, l’incidence d’une thésaurisation trop accentuée des revenus des consommateurs, dans un marché émergent, est d’empêcher la structuration d’un fort marché domestique. Cette structuration est pourtant indispensable pour permettre à la croissance économique de réduire sa dépendance au seul commerce extérieur. De plus même si une diversification des partenaires commerciaux tend à réduire le risque encouru, lors d’une crise majeure, une forte demande intérieure permettra de mieux tenir le pays à flot. En exemple : la récession de 2008 qui a vu des pays comme la France moins décroître en terme de PIB27 que certains de ses voisins (l’Allemagne), notamment grâce à une économie plus basée sur la demande intérieure et moins ouverte à l’exportation28.

De plus les crises amènent les pays à renforcer les mesures protectionnistes, chacun essayant de limiter les dégâts sur son propre pays. Ce qui, outre le fait d’engendrer des tensions diplomatiques, fausse totalement la donne économique. Les différents états instaurent des quotas, des lois, des subventions qui donnent des avantages concurrentiels internes et biaisent le commerce international. Ils peuvent aussi avoir recours au dumping fiscal pour favoriser l’implantation d’entreprises sur leur territoire.

Ces différents éléments mettent en exergue deux données primordiales : Premièrement, une trop forte dépendance sur les exportations assujettit beaucoup trop l’économie du pays à la santé de l’économie mondiale. Deuxièmement, les pays émergents sont bien souvent plus exposés à une récession mondiale, car si la pratique du protectionnisme est chose aisée pour les grandes puissances économiques, elle l’est beaucoup moins pour les puissances émergentes. En effet les pays émergents jouissent à la base d’avantages compétitifs (moindre coût du travail, taux de change…), mais la pratique d’un protectionnisme fort par les grandes puissances économiques peut venir les contrebalancer. Les pays émergents se retrouvent alors face à un problème : si un produit n’est plus exportable ils doivent le vendre sur leur territoire. Mais si leur marché domestique a une demande très faible, ils courent tout droit à une baisse de leur croissance voire à une récession. La mise en place d’un régime purement autarcique n’est pas la solution, loin de là, mais entre les extrêmes il existe toujours un juste milieu.

Le coup dur porté à l’économie japonaise est venu lorsque l’un de ses avantages compétitifs majeurs, sa devise (le yen), a commencé à s’apprécier trop fortement face au dollar. Les exportations du Japon ont décru, car elles étaient devenues moins compétitives, et faute de marché domestique suffisamment important, maintenir une croissance aussi forte n’était plus possible. La croissance du Japon a ralenti sèchement, passant de 4.4% en 1985 à 2.5%29 en 1986. Les efforts du gouvernement japonais pour réduire encore les taux d’intérêts passant de 5% à 2.5%30 n’ont eu d’autre effet que la création d’une bulle spéculative qui finit par exploser, entraînant le marché avec elle.

2.1.2Des compagnies pas toutes si performantes

Le gouvernement japonais prêtait de l’argent à des taux très faibles aux plus grandes banques japonaises. Ces dernières prêtaient à leur tour aux industries japonaises à des taux très faibles, comparés aux minimas mondiaux de l’époque. Le coût de financement via la dette pour une compagnie est représenté par les taux d’intérêts. Quand les coûts sont élevés, une utilisation minutieuse doit être faite pour éviter des surcoûts inutiles, car l’investissement effectué, financé par la dette, doit être à même d’amener un rendement supérieur au coup du capital. Avec des taux d’intérêts élevés il faut donc investir dans des projets viables et rentables. De ce fait les compagnies les plus faibles, positionnées sur des marchés moins porteurs sont moins à même de se financer. L’économie japonaise, forte de ces faibles taux d’intérêts, les a proposés plus facilement aux entreprises, même dans le cas de celles ayant des ratios de solvabilité médiocres. Le risque d’insolvabilité et donc de « credit event » a été fortement sous-estimé et de nombreux crédits ne furent jamais remboursés aux banques japonaises. De plus dans une économie haussière on est moins regardant à la maximisation du retour sur investissement, chose indispensable dans une économie moins dynamique pour pouvoir survivre. La Japon avait à cette époque le retour sur capital le plus bas du monde industriel31. Quand les premières compagnies commencèrent à tomber en banqueroute, les banques prêtèrent toujours plus d’argent, se basant sur une croissance toujours tenace. Mais quand le commerce extérieur vint à décroître, en lien avec l’appréciation du yen, ce déclin a eu raison de très nombreuses entreprises. Cette fois ci la structure de la dette était trop pesante et en était devenue insoutenable. La croissance ralentit donc fortement, les marchés s’écroulèrent et commença alors une longue période d’errance pour le Japon.

2.1.3Les leçons tirées de cette crise par le Japon

Tout d’abord, résumons les raisons de cette crise : un marché domestique trop faible, une économie trop axée sur l’exportation, une dépendance énergétique et des matières premières, des taux d’intérêts très faibles, et des industries pas si performantes en termes de retour sur investissement. De plus cette crise est également liée à une politique monétaire hasardeuse, trop expansionniste à son début, la masse monétaire en circulation ayant explosé sur la période. Puis, pour ralentir la création de la bulle immobilière formée sur les faibles taux, le Japon rehaussa ses taux trop durement créant une contraction trop forte et menant à une explosion de la bulle. De nombreuses entreprises étaient comme gangrenées et leur chute, entrainant une récession, était inévitable. En effet lors d’une liquidation tout n’est pas perdu : la combinaison productive travail/capital va seulement être déplacée et sera réutilisée. Le Japon n’a jamais laissé son économie se réguler d’elle-même. Il a tout fait pour maintenir à flot toutes ses compagnies, mêmes les plus mal en point, au lieu de permettre une récession plus en amont qui aurait imposé une plus grande discipline et certainement limité les dommages. Le Japon a mis des années à vraiment se remettre de cette crise et aujourd’hui encore, malgré une population très disciplinée, respectant une l’idéologie d’harmonie spirituelle très inspirée par le bushido (valeurs morales japonaises), certains stigmates peinent à s’effacer. L’économie japonaise est aujourd’hui stagnante, la croissance de 2011 étant de -0.7%32. Les dégâts causés par le tsunami, qui ont d’abord handicapé l’économie japonaise, vont finalement lui permettre de reconstruire et d’afficher une croissance estimée entre 1 et 2%33 pour l’année 2012. Les années à venir seront cependant définitivement un tournant pour l’ensemble de l’économie japonaise.

L’impact de cette crise outrepassa les frontières japonaises car elle fut l’un des détonateurs de la crise que subit l’ASEAN à la fin des années 1990.

2.2La terrible crise de l’ASEAN

Les pays membres de L’ASEAN, au même titre que leur voisin Japonais, ont basé leurs économies entières sur l’exportation. En effet les marchés domestiques de l’époque étaient bien trop faibles pour pouvoir être la seule variable stimulant la croissance du PIB. De plus, malgré une intensification des échanges interétatiques, l’ASEAN restait la seule association régionale de libre échange. Face à une forte demande de financement émanant du secteur industriel, le secteur bancaire s’est orienté massivement vers le soutien des entreprises d’exportation, sans d’ailleurs réellement se soucier de la solvabilité de l’emprunteur.

2.2.1Les racines de la crise

L’accroissement des flux de capitaux, sous l’impulsion de la politique américaine ultra libérale de Reagan (1980), a permis à de nombreuses compagnies du sud est asiatique de contracter des emprunts à courte durée. La faiblesse des taux à d’ailleurs permis à beaucoup d’entreprises de subsister malgré de piètres performances. Cependant, de graves déséquilibres sont intervenus. Premièrement le « currency mismatch », c’est-à-dire le bilan des entreprises qui présentait un actif évalué en devises locales alors que le passif était entièrement fait de dollars. Le second déséquilibre est apparu sur la maturité « maturity mismatch », la maturité des actifs étant bien plus longue que la maturité du passif. Mais le réel détonateur est venu du système monétaire. La monnaie thaïlandaise, le baht, était alors indexée sur le dollar américain. Les années 90 étant marquées par une volatilité forte des taux de change, cette indexation garantissait un taux de change bien plus stable. Cependant, le dollar américain, alors dopé pas la recrudescence de l’économie américaine a fait s’apprécier le baht sur un yen japonais mal en point34. Cette appréciation réduisit fortement l’avantage compétitif des produits Thaïlandais comparés aux produits exportés par le Japon. La Thaïlande prit alors la décision de détacher le baht du dollar américain. D’abord reçu comme un bon signe par les investisseurs et économistes, ce détachement sonna le glas des économies asiatiques émergentes. Le baht se dévalua de moitié35, rendant alors la gestion des compagnies très complexe. En effet l’actif des compagnies était libellé en bath, mais le passif, lui, était libellé en dollar américain : la baisse du taux de change démultiplia les dettes. Suivant l’idée de la Thaïlande, d’autres pays de l’ASEAN ne tardèrent pas, eux aussi, à désindexer leur devise du dollar américain, la volatilité des devises sur la période explosa tandis que leur dévaluation face au dollar américain s’aggravait au fils du temps36. La crise se propagea rapidement en Asie, venant heurter aussi fortement la Corée du sud, avant de se déployer mondialement dans d’autres pays émergents comme la Russie ou le Brésil. L’instabilité monétaire a conduit l’ASEAN vers une crise cambiaire, avant de la voir s’étendre et devenir à la fois commerciale, financière et mimétique. La crise politique peut même être évoquée dans un pays comme l’Indonésie où le pouvoir en place a vacillé.

2.2.2Une crise financière, mais aussi industrielle

Le manque de rentabilité des entreprises et la dévalorisation des devises conduisirent de nombreuses compagnies à la mise en faillite. Les banques aussi tombèrent en cessation de paiement. Les taux de prêt non performants, c'est-à-dire non remboursés dans leur totalité, explosèrent. Les deux pays les plus touchés furent l’Indonésie et la Thaïlande, avec des taux insoutenables respectifs de 48.6% et 45%37. Pour donner un ordre d’idée, les deux pays avoisinent aujourd’hui des taux beaucoup plus faibles autour de 4%. Même si d’autres états de l’ASEAN furent moins touchés, à l’image de la Malaisie et des Philippines avec des taux respectif de 12 et 17%, ces chiffres furent tout de même globalement anormalement élevés. La faiblesse du secteur financier apparait évidente, la dévaluation soudaine des monnaies38 a représenté la peur et le manque de confiance des investisseurs dans les devises asiatiques. De plus le secteur financier étant trop centré autour des banques ne laissait aucune place à des alternatives pour le financement des entreprises, comme l’utilisation d’actions ou encore d’obligations. Le manque d’alternative augmente le risque. La diversification des sources de financement permet de prévenir, en cas de crise d’une des sources, l’endiguement total de l’entreprise. Pas moins de 8139 établissements financiers indonésiens ont mis la clé sous la porte pendant la crise : autant d’établissements sur lesquels les compagnies ne pouvaient plus compter pour leur financement. Mais cette crise était-elle seulement financière ? Des entreprises en meilleure santé auraient elles pu survivre, ou du moins subsister dans de meilleures conditions ? A l’instar du Japon, les entreprises de l’ASEAN n’étaient pas d’une grande rentabilité. Dans une économie dopée par la croissance et avec des taux d’intérêt faibles, il était aisé de financer les projets, qu’ils fussent rentables ou non. Cette défaillance du système industriel était pourtant visible avant l’explosion. En effet, avec la volonté affichée de s’émanciper du joug des nations occidentales, les industries de l’ASEAN, soutenues par leurs gouvernements, s’étaient lancées dans un grand programme d’investissement. Le but était d’orienter la production industrielle sur des biens de haute technologie. Cependant, ne disposant pas de l’expertise nécessaire, ces industries ont dû importer de nombreux composants nécessaires à la fabrication. De plus, pour le développement de ces produits, l’aide de main d’œuvre et d’ingénieurs occidentaux a été nécessaire. Au final, la dépendance aux pays occidentaux n’en était que renforcée. Ces défaillances ont conduit bon nombre d’entreprises à produire en dessous de leur potentiel. Le manque de capacité à innover et donc la compétitivité ont également été mis en cause. D’autres indicateurs n’étaient pas non plus au beau fixe. L’effondrement de la monnaie couplé avec une augmentation des salaires ont fortement émoussé les avantages compétitifs des industries locales, surendettées pour la plupart. Le ralentissement de l’activité à embourbé bien des entreprises. Les gouvernements tentant de protéger les devises nationales ont rehaussé les taux d’intérêts, impactant directement les entreprises, dont bon nombre étaient déjà insolvables. Face à une dégradation des marchés intérieurs et régionaux (-20% sur la demande domestique en Indonésie, Malaisie, Thaïlande)40 les pays de l’ASEAN ont misé sur une politique commerciale encore plus tournée à l’export. En termes de volume, l’opération fut un succès mais, en termes de valeur, les exportations évaluées en Dollars avaient perdu près de 30%41. Cette crise systémique a nécessité des efforts colossaux de l’ASEAN pour en sortir et pour enfin retrouver des niveaux de croissance d’avant crise42.

2.2.3Les réformes de l’ASEAN pour affronter la crise

La sortie de la crise s’est effectuée après de nombreuses réformes plus ou moins profondes. Premièrement une réforme du système financier43, dont le but premier était d’amener plus de transparence sur la gestion des entreprises et de favoriser l’emploi d’autres sources de financement que l’unique emprunt bancaire. Deuxièmement une libéralisation accrue de l’économie visant à augmenter l’importance de l’ASEAN dans les flux d’échanges internationaux. La lutte contre le protectionnisme national ayant été l’un des éléments clés de la construction de l’association, il était important de ne pas attiser les poussées nationalistes. Troisièmement un soutien accentué aux PME, qui ont longtemps été des acteurs délaissés de la croissance asiatique, ainsi que la mise en place de règles plus strictes sur le niveau d’endettement, et les procédures de mise en faillite sont venus renforcer la sérénité nécessaireà une relance économique durable. Le principal défi de l’ASEAN était de rendre le marché du travail assez flexible pour permettre aux employés ayant eu des emplois détruits par les restructurations, de retrouver du travail le plus aisément possible.

Pour s’inscrire sur le long terme, les pays membres de l’ASEAN ont, d’une volonté commune, amélioré leur système éducatif. Aujourd’hui les universités de Singapour figurent parmi les meilleures du monde, et les universités des pays comme l’Indonésie, la Malaisie ou encore la Thaïlande, sont déjà reconnues mondialement, notamment grâce aux nombreux partenariats avec leurs homologues occidentaux.

La crise Japonaise et la crise de l’ASEAN ont pointé le doigt sur la viabilité des modèles asiatiques. Considérés comme des « miracles » tant leurs croissances étaient impressionnantes, la moindre secousse a suffi à les faire s’effondrer. Aujourd’hui remis, le Japon à réussi à prendre le virage que l’ASEAN se doit de prendre. Son secteur secondaire fabrique essentiellement des produits manufacturés à faible valeur ajoutée tandis que son secteur tertiaire est aujourd’hui, pour ainsi dire, quasiment inexistant, et c’est dans leurs constructions que résidera certainement l’avenir de l’ASEAN.

2.3La Crise de 2008-2009

Il existe une théorie disant que l’Asie sera un jour à même de sauver l’économie mondiale en cas de crise majeure, appelée la théorie du découplage. Si les puissances économiques actuelles venaient à entrer dans une récession profonde, l’Asie serait alors leur potentiel sauveur. Cela implique que le commerce et les marchés asiatiques soient suffisamment dé-corrélés des grandes puissances économiques, pour ne pas être impactés trop négativement par une crise en Europe ou en Amérique, et donc d’être à même, par la suite, de relancer les économies de ces pays en crise. La crise des « subprimes » apparaît comme la plus grave crise des dernières années, car elle a impacté le noyau de l’économie, c'est-à-dire les banques. Une crise industrielle, ou une crise de la demande vont, certes, impacter l’économie, mais un système financier tout entier qui s’effondre vient endiguer automatiquement l’ensemble de l’économie (les banques sont aujourd’hui devenues tellement grosses qu’elles sont considérées « Too big to fail », c'est-à-dire qu’elles trop importantes pour que les états les laissent faire faillite). En effet le financement par la dette représente une grande partie du passif des entreprises : une chute des banques rend, d’emblée, ce moyen de financement à long terme impossible. Mais il y a plus grave, les banques participent aussi activement au financement à court terme des entreprises. Si les entreprises n’ont plus de liquidités pour faire face à leurs dépenses quotidiennes, elles ne peuvent plus payer leurs fournisseurs et leurs salariés. Les fournisseurs non payés ne peuvent à leur tour plus rembourser leurs propres fournisseurs. On rentre alors dans un cycle sans fin avec un gel quasi-total de l’activité économique. En effet, l’offre va être impactée directement par l’impossibilité des entreprises de continuer à produire mais la demande va, elle aussi, décroître par l’impossibilité des employés privés de salaire, d’acheter des biens/services.

2.3.1La crise des « subprimes ».

La crise des « subprimes » est née de l’impossibilité pour de nombreux ménages Américains de rembourser leurs dettes, contractées sur des emprunts immobiliers. Les banques de détail, une fois les emprunts contractés, revendaient les prêts à des banques d’investissement, transférant ainsi le risque inhérent au crédit. Les banques d’investissement peu enclines à supporter la totalité du risque de ces prêts, qui étaient déjà considérés à l’époque comme ayant une probabilité énorme de défaut, ont alors créé des produits financiers appelés CDO (collateralized debt obligation). Ces produits, notés AAA par les agences de notations, se sont échangés par milliers et ont fait prospérer les banques à des rendements tels, qu’elles en voulaient toujours plus, malgré les risques encourus. Sachant que ces produits étaient prêts à s’effondrer, les banques se sont couvertes au près d’AIG (leader de l’assurance aux Etats-Unis) pour pallier à un potentiel défaut. Face à l’ampleur des volumes échangés les banques se sont aussi couvertes contre la potentielle mise en faillite d’AIG au cas où les montants faramineux à rembourser entraineraient l’assureur par le fond. Or lorsque ce qui devait arriver arriva, le trésor américain a refusé de soutenir la banque Lehman Brothers, par peur d’une mauvaise réaction de l’opinion publique qui aurait vu en ce soutien un gaspillage de leur argent pour sauver des banquiers jouant avec le feu. La chute de Lehman a embrasé la scène financière internationale, obligeant la FED et le trésor américain, à cette fois ci, intervenir. Tout d’abord en sauvant AIG puis en prenant part dans les capitaux des banques les plus en difficulté. Cette crise initialement américaine s’est répandue au monde entier et a vu de nombreux investisseurs qu’ils soient publics ou privés perdre leur argent.

Il est important de prendre en compte que les pays de l’ASEAN n’ont nullement été impliqués dans le processus ayant mené à cette crise. Le seul lien direct pourrait être des investissements de fonds asiatiques sur des CDO mais cela reste isolé. La contamination n’a pas eu lieu par le système financier mais bel et bien par l’effondrement du commerce mondial.

2.3.2Un après crise encourageant

La tempête générée par la crise de 2008-2009 n’a vraiment fait que passer dans le ciel sud-asiatique. L’année 2009, majoritairement marquée par de faibles taux de croissance ou de faibles récessions n’a vite été qu’un mauvais souvenir pour l’ASEAN. Dès 2010 la croissance retrouvait déjà des sommets, a l’image d’un Singapour affichant 14.4% de taux de croissance44. Cette reprise alors que la triade Usa-Union Européenne- Japon peinait encore à sortir de la crise est elle la preuve d’un découplage de la zone ? S’il s’avérait que la zone était assez découplée pour continuer à croître à des rythmes faisant pâlir de jalousie les grandes puissances économiques, alors on pourrait affirmer que l’intégration régionale et mondiale de l’ASEAN n’est nullement menacée par une profonde récession des super puissances économiques actuelles. Malheureusement ce n’est pas le cas. A l’instar des pays européens pendant cette crise45, les pays les plus résistants de l’ASEAN ont été ceux ayant le marché domestique le plus développé46. Il est vrai que certains pays comme l’Indonésie pour ne citer qu’elle, a réussi à afficher des taux de croissance positifs tout au long de la crise, ne descendant jamais en dessous de 4.58% (2009)47. Ces pays sont, en effet, moins affectés par la demande mondiale. Cependant à voir l’écart entre les taux de croissance pré-crise et ceux pendant la crise on ne peut pas affirmer qu’ils sont totalement immunisés face à la conjoncture mondiale. En définitive, les pays asiatiques ont certes moins subi la crise mais suffisamment pour affirmer que leur seul marché domestique ne peut pas supporter leur production et que la demande occidentale reste un important facteur de leur croissance. Le redressement extraordinaire de 2010 est par ailleurs en grande partie dû au retour de cette demande occidentale à des niveaux avoisinant ceux d’avant crise. Ce redressement éclair ne vient que confirmer leur grande dépendance commerciale. En revanche, si nous comparons cette crise aux précédentes, une dissemblance est frappante. En effet l’ASEAN s’est relevée en à peine un an, alors qu’en 1997 les stigmates de la crise avaient perduré plusieurs années. Cela démontre, premièrement que les systèmes financier et monétaire de la zone sont plus forts qu’ils n’ont jamais été. Deuxièmement, cela indique que lorsque les avantages concurrentiels de l’ASEAN ne s’émoussent pas, et que les baisses des ventes sont liées à une mauvaise conjoncture internationale, les entreprises restent toujours aussi compétitives, et à la moindre reprise relancent la croissance. Troisième et dernier point : les entreprises de l’ASEAN ont montré une résilience étonnante, supportant une année de disette, là où de nombreuses avaient fait faillite dès la première année de la crise en 1997.

Cette crise est donc apparue comme un test plutôt concluant pour l’ASEAN, mais il reste encore un long chemin à parcourir avant que celle-ci soit à même d’être moins dépendante de la demande occidentale.

 

3Les menaces pesant sur l’ASEAN

L’ASEAN a traversée des crises plus ou moins violentes. Les défauts ont été gommés, ou du moins ajustés, pour permettre à la zone de se relancer. Cependant le spectre d’une crise plane toujours sur l’ASEAN, et dans un futur plus ou moins proches plusieurs sonnettes d’alarmes devront être tirées pour ne pas récidiver 1997. Les menaces sont nombreuses : d’un coté propres à la zone comme l’émoussement des avantages concurrentiels dû à la forte émergence des pays membres, et de l’autre extérieures comme la conjoncture économique mondiale ou encore l’appétit chinois. Nous ne parlons pas ici de suppositions mais de faits, la dégradation des avantages a déjà commencé, la conjoncture économique mondiale est au plus mal et la Chine ne s’est jamais montrée aussi conquérante. Cependant, l’ASEAN a de la ressource, et elle est plus forte qu’elle ne l’a jamais été. C’est à elle dès aujourd’hui de prendre conscience des dangers qui la guettent et d’analyser les différents scénarios possibles pour maintenir son processus d’intégration régionale et mondial.

3.1Une dégradation durable des avantages compétitifs

Il est indéniable que les pays émergents sont des marchés porteurs dans lesquels des investissements peuvent fructifier très rapidement, dopés par les croissances énormes de ces pays. Les grandes puissances économiques l’ont bien compris et les flux d’IDE à direction de l’ASEAN se renforcent d’année en année48. Cependant il existe toujours un risque. Qu’il soit majeur comme une crise qui stopperait nette l’émergence de ces pays ou mineur comme un ralentissement de la croissance à court terme. L’économie de l’ASEAN possède pour le moment de nombreux atouts, c’est indéniable. Mais ces atouts en plus du fait de ne pas être éternels, n’assurent pas un gage de stabilité sur le moment présent. Après les dernières crises majeures la survie et le regain de croissance de certains ont été regagnés grâce à des efforts drastiques mis en œuvre par leurs gouvernements et appliqués à la lettre par les populations.49

L’exemple japonais reste la meilleure illustration possible de ce risque constant qui plane au-dessus des pays émergents ayant basé leur modèle économique sur l’exportation. Un faible coût du travail, une monnaie faible et de faibles taux d’intérêts : chacun de ces atouts autrefois moteurs de l’économie japonaise se retrouve aujourd’hui dans les pays émergents de l’Asie du sud-est. Nuançons cependant : chacun de ces avantages ne sont présents à égale mesure, chaque pays étant géré différemment. Par exemple Singapour applique des taux d’intérêt très faibles (0.03% Sibor daté du 02/05/12)50 avec une devise forte (dollar de Singapour 1.63=1€ daté du 02/05/12)51 quand en Indonésie la structure est inversée avec des taux d’intérêt élevés (Taux directeur 5.75% changé pour la dernière fois en février 2012)52 et une monnaie très faible (Rupiah 12 139,14=1€ daté du 02/05/2012)53. Cette différence s’explique notamment par les différences de développement entre les deux pays (PIB/habitant de Singapour $52 220, Indonésie $3990)54 et illustre parfaitement les problèmes que l’ASEAN serait à amenée à rencontrer si les états membres décidaient d’aligner leurs politiques monétaires voire de passer à une devise unique.

Si ces pays arrivent émerger si rapidement ce n’est pas en raison de leurs qualités managériales exceptionnelles, sans toutefois remettre en cause le talent qui est le leur, mais plutôt grâce aux opportunités crées par ces 3 principaux avantages.

3.1.1Le coût du travail

Un faible coût du travail55 vous permet de produire pour un coût moindre et donc soit d’engranger plus de marge sur le produit en s’alignant au prix des concurrents étrangers, soit comme le font les pays de l’ASEAN de vendre plus, car à des prix inférieurs. Cet avantage compétitif immense se mesure par la simple différence entre les coûts du travail d’un pays à l’autre. Cet avantage est le principal facteur permettant l’émergence des pays les moins développés. Cet avantage est toutefois éphémère, et tôt ou tard il s’amenuisera obligeant les entreprises soit à faire baisser leurs coûts par d’autres méthodes (économie d’échelle, chasse aux coûts…) soit à s’aligner sur les prix des concurrents étrangers et de ce fait, perdre cet avantage sur eux. L’augmentation du coût du travail vient principalement de l’augmentation du niveau de vie des habitants, dopé par les flux de richesse créés par l’export de produits à bas prix. Néanmoins il est facile de voir qu’un pays ayant une manne de travailleurs presque intarissable, comme la Chine (1,3 milliards)56 ou encore l’Inde (1,2 milliards)57, mettra beaucoup plus de temps à élever le niveau de vie de toute sa population qu’un pays avec une démographie plus limitée, comme la Malaisie (29 millions)58. De plus la Chine applique un système de salaire minimum en fonction de la zone géographique et du travail effectué, ce qui permet d’endiguer une trop forte augmentation du coût du travail sur l’ensemble du territoire59. L’ASEAN se retrouve donc face à un défi majeur : l’Inde et la Chine ces deux partenaires économiques de poids, dynamisent la région et représentent à la fois les principaux atouts et les plus grandes craintes des autres pays de la zone... Nous étayerons plus en détail ce point dans la partie 3.2.2 : Une stabilité régionale remise en cause.

3.1.2Une faible devise

La monnaie, quant à elle, donne un avantage important sur le prix des produits par rapport aux concurrents étrangers, une faible monnaie rendra les produits attractifs et de ce fait stimulera la demande, et par lien de causalité la production et donc la croissance. Avoir un taux de change avantageux confère un avantage à l’export mais un désavantage à l’import car le prix des marchandises étrangères sera d’autant plus cher que votre monnaie est faible par rapport à celle de votre partenaire commercial. Si nous prenons en considération la balance commerciale du pays, nous constatons qu’un pays avec une balance excédentaire aura tout intérêt à maintenir sa monnaie dévaluée car cela lui permet d’affirmer sa position. Cependant dans le cas d’une balance déficitaire il est beaucoup plus difficile d’intervenir. En effet une monnaie forte vous permettra de baisser le coût de vos importations, mais pourrait handicaper encore plus vos exportations, laissant la balance négative pour les années à venir. L’intérêt des pays émergents et donc de l’ASEAN est de se doter d’une monnaie faible et stable. Depuis le passage au flux flottant, les monnaies s’apprécient les unes par rapport aux autres. Jusqu’en 1997 les monnaies de l’ASEAN restaient pour beaucoup indexées sur le dollar et leur désindexation a causé la crise dont nous avons parlé en partie II. Or La stabilité d’une monnaie est indispensable, du fait du nombre croissant d’exportations et d’investissements. Les monnaies de l’ASEAN s’apprécient de plus en plus sur le dollar, mettant en péril cet avantage plus vite que prévu, ce qui peut entraîner un brutal ralentissement des exportations. Une étude menée par le FMI60 tend à démontrer que la stabilité des devises est plus importante que la stabilité des taux d’intérêts et que de ce fait adapter sa politique monétaire en permanence aux fluctuations de la devise est un gage de stabilité. La volatilité des taux d’intérêts impactant selon l’étude seulement la variation des investissements de portefeuille au profit des investissements directs. Si les pays membres de l’ASEAN veulent maintenir leur croissance cela passera forcément par une gestion méticuleuse de leur politique monétaire.

3.1.3L’impact des taux d’intérêts

Le dernier rouage de cet engrenage est le niveau des taux d’intérêts. En effet pour être à même de réunir la combinaison productive capital/travail vous devez disposer de capitaux. Il existe de nombreux moyens de se procurer des fonds pour une entreprise, mais nous nous attarderons sur le plus classique : l’emprunt bancaire. Une politique avec des taux d’intérêts faibles est une politique considérée comme expansive, car on pourra se procurer de la monnaie à des coûts peu élevés ce qui permettra une aisance dans le financement des entreprises stimulant ainsi la croissance. En revanche, plus de monnaie en circulation induit une dévalorisation de cette dernière et stimule de ce fait l’inflation, effet à éviter pour ne pas pénaliser la consommation domestique générée par les ménages. L’inflation est un grand risque de tout pays émergent, il convient d’adapter sa politique financière de la meilleure manière pour ne pas handicaper sa croissance sans pour autant générer une inflation démesurée. La politique financière dépend totalement des choix gouvernementaux des pays. Pour ce qui est de l’ASEAN les taux d’intérêts sont assez élevés en moyenne61. A l’exception de Singapour et du Brunei. Comme dit précédemment la stabilité d’une devise est très importante : une politique restrictive avec des taux intérêts plus élevés sera, certes, moins à même de stimuler la croissance qu’une politique expansive, mais permettra de limiter l’inflation. La croissance n’est utile que lorsqu’ elle est durable. Pour reprendre l’exemple du Japon, le facteur qui a conduit ce dernier à une crise est le manque de rigueur sur la politique monétaire. Les taux d’intérêts très bas ont facilité l’emprunt des compagnies japonaises. Cependant un si faible coût de financement via la dette induit une orientation quasi unique des compagnies sur ce système, mettant de côté le financement via les marchés financiers. Il est de notoriété publique que le coût de financement via la dette est moins élevé que les coûts de financement via les marchés financiers, notamment grâce au « bouclier fiscal »62 généré par le financement via endettement. Cependant trop de dette risque d’affecter fortement la solvabilité de la compagnie, et menace cette dernière de banqueroute. Quand le coût de financement est faible on est moins minutieux et on emprunte plus facilement. Le rendement unitaire de l’emprunt est moindre que lorsque le coût est élevé63. En effet cela biaise le rapport entre le risque pris et le retour sur investissement. Avec un taux de financement faible, la probabilité d’un retour sur investissement positif est plus grande qu’avec des coûts élevés. Ce qui induit une plus grande marge de manœuvre et des pertes encourues moins élevées, n’obligeant donc pas le management à une rigueur extrême. Cependant dans une économie où la compétition est forte, une maximisation de chaque unité investie est nécessaire pour rester compétitif. Avec des taux frôlant les 0% une compagnie peut être par exemple tentée de ne presque jamais recourir à l’auto investissement augmentant encore plus sur le long terme les risques d’insolvabilité.

L’ASEAN a donc les moyens de continuer de croître, mais tous les indicateurs ne sont pas au vert. Une dégradation progressive des avantages s’annonce déjà. De plus, outre le fait de voir ses avantages diminuer, l’ASEAN va devoir faire face à d’autres risques si elle veut parvenir à s’installer comme une puissance économique durable.

3.2Une déstabilisation profonde de la zone

3.2.1La conjoncture mondiale

Depuis la crise des subprimes, les super puissances économiques embourbées dans la crise de la dette peinent à se relever. Mais l’ASEAN continue de croître par sa capacité à absorber une plus grande part de son offre sur son marché domestique mais aussi à commercer avec les nouveaux pays émergents (BRIC, Chine, Emirats arabes…)64. Si le commerce international semble se désaxer des grandes puissances (même si la route est encore longue), ce n’est pas encore le cas de la finance65. Les places boursières de l’ASEAN les plus développées affichent de très hautes corrélations avec les places boursières européennes et américaines. Notons que statistiquement parlant, la corrélation ne permet pas de désigner quelle variable influence l’autre. Cependant il est possible d’affirmer qu’un déclin des bourses occidentales entraine aussi un déclin des bourses asiatiques. Les marchés financiers sont une source de financement très importante, car ils permettent de lever beaucoup de fonds et de répartir le risque sur plusieurs investisseurs. De plus, d’importants montants sont placés par les banques et les entreprises sur ces marchés à titre plus ou moins spéculatif. Un effondrement des marchés viendrait donc impacter directement la totalité du tissu économique. Aujourd’hui l’ASEAN n’est pas prête à reprendre le flambeau. La théorie du découplage n’en n’est pas réfutable pour autant. Cependant elle nécessite une maturité des pays asiatiques qui est loin d’être atteinte. Le scénario idéal serait un maintien des puissances économiques actuelles avec une émergence progressive des pays asiatiques et ainsi, « une passation de pouvoir » en douceur. Nous transiterions donc vers une hégémonie asiatique, forte de ses trois moteurs économiques alors que l’Europe et les Etats-Unis seraient moins présents sur la scène internationale. En revanche, à l’image des conglomérats bancaires américains, les plus grandes puissances économiques mondiales sont toujours considérées « to big too fail ». Les pays asiatiques et la Chine en premier lieu l’ont bien compris. Il est important de préserver le vivier de consommateurs que sont l’Europe et les Etats-Unis tant que leurs démographies ne seront pas à même de supporter leur croissance, que ce soit en termes de consommation ou d’investissement.

D’autre facteurs peuvent venir perturber l’émergence de l’ASEAN, mais ces derniers sont plus des problèmes communs à l’humanité toute entière que réellement à la zone d’Asie du sud est. Nous citerons la raréfaction des ressources fossiles, dont les prix augmentent considérablement. Le réchauffement climatique, qui en causant la montée des eaux, menace déjà l’archipel Indonésien. La surexploitation de ressources naturelles (huile de palme en ligne de mire). Mais l’ASEAN n’a pas besoin de regarder si loin pour trouver une potentielle source d’instabilité, autre que sa dépendance aux puissances occidentales.

3.2.2Une stabilité régionale remise en cause

3.2.2.1L’envol du dragon Chinois

La Chine est le premier moteur de l’émergence asiatique, suivi de l’Inde et de l’ASEAN66. La différence la plus marquante avec ses deux partenaires économiques, qui sont aussi ses rivaux sur certains marchés, est que la Chine présente tous les atouts pour devenir non pas une puissance mais une super puissance mondiale voire une hyper puissance. La différence est de taille, une hyper puissance est un pays ayant la suprématie dans de nombreux domaines (notamment militaire) et le pouvoir d’influencer le monde par ses prises de positions. Actuellement seuls les Etats-Unis peuvent prétendre à ce statut. Mais la Chine renverse peu à peu cette hiérarchie pour s’installer au sommet. Les prévisions parlent d’un détrônement aux alentours de 2020 (Prévision PIB Chinois 2020 : 15 010 milliards de dollars)67, mais uniquement sur l’aspect économique. Les Etats-Unis resteront la première puissance militaire pour encore plusieurs décennies (leurs dépenses militaires annuelles représentent 40% des dépenses militaires mondiales).

En un sens, avoir la nation la plus puissance du monde comme voisin est un avantage. En revanche et comme énoncé précédemment, la démographie Chinoise en fait un concurrent économique sur le long terme quasiment hors de portée, à l’instar de l’Inde, malgré chez cette dernière, une démographie plus faible et un potentiel économique pour le moment moins exploité. Ces deux géants ont la chance d’avoir une manne de travailleurs intarissable. De plus, avant que ces populations qui représentent 40% de la population mondiale se soient enrichies au point de rendre les coûts du travail non attractifs, l’eau aura coulé sous les ponts.

Enfin, dominer le monde économiquement implique de dominer également de nombreuses variables clés, comme certains lieux géographiques ou encore certaines ressources.

3.2.2.2L’insatiable appétit Chinois

Outre le fait que les relations sino-américaines soient tendues, et que l’ASEAN ne sache pas trop comment se positionner (l’attitude de ses membres consistant souvent à rester le plus neutre possible pour ne pas froisser l’un ou l’autre de leurs partenaires), d’autres conflits prennent place dans la région, avec des enjeux tout aussi importants.

La Chine et le Japon qui ne se sont historiquement jamais beaucoup appréciés se disputent des îles à l’instar de l’Angleterre et de l’Argentine pour les Malouines. Depuis maintenant une cinquantaine d’années la suprématie sur les îles Senkaku est un motif incessant de querelles. La raison officielle en est la localisation potentielle d’hydrocarbure à proximité. Mais ce qui pousse la Chine à tant d’insistance est sans doute surtout la sécurisation de la Mer du sud. Même si ce conflit n’a pas de conséquences directes pour l’ASEAN, il reflète l’appétit de la Chine pour les espaces qu’elle considère être dans son intérêt vital de posséder. Cela permet de comprendre un conflit du même ordre, qui cette fois touche directement aux intérêts de l’ASEAN : le conflit du détroit de Malacca.

Ce conflit prend place dans la partie sud de la mer de Chine68. Le détroit de Malacca est exactement situé entre l’île de Sumatra (Indonésie) et la péninsule Malaisienne, à l’extrémité de laquelle on trouve Singapour69. La Chine considère toutes les eaux s’étalant de la mer jaune au nord jusqu’au détroit au sud comme faisant partie de ses eaux territoriales et de ce fait entend bien militariser la zone. Les premiers conflits sont venus des îles Paracelles et Spratly qui se situent au large du Vietnam et qui lui appartiennent historiquement. Mais face au nombre croissant d’attaques de bateaux la Chine a fait militariser la zone. Il faut dire que près de 90% du pétrole acheminé en Chine passe par ces îles. La Chine défend officiellement une position totalement dénuée de volonté conquérante envers ses voisins et ne jure que de saisir les opportunités nécessaires à sa croissance. Cependant lorsqu’il s’agit de la mer du sud elle sait utiliser le patriotisme de son peuple appelant à défendre les intérêts de leur patrie. Le détroit de Malacca est une zone privilégiée ralliant par voie maritime la mer de Chine à l’océan Indien et donc une voie de choix pour commercer avec l’Inde. La Chine revendique le contrôle du détroit avec la volonté affichée d’en assurer la sécurité, mais les états de l’ASEAN de l’entendent pas de cette oreille, et considère la volonté chinoise comme une atteinte à leur souveraineté. La Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande et Singapour possèdent, et construisent, des navires de guerre en nombre. Il n’y a nul doute qu’en cas de conflit dans la région la domination maritime serait la clé.

Outre ces tensions avec l’ASEAN, la Chine lorgne aussi des ressources d’eau dans la région de l’Himalaya pour produire de l’énergie. Sans tenir compte du fait que la construction de barrages en amont pourrait handicaper les pays se situant en aval, qui eux aussi, ont besoin de cette eau.

Pour l’instant la Chine se garde de démarrer tout conflit dans la zone, car elle sait que cela serait pénalisant pour sa propre économie. En revanche rien n’exclut qu’un jour elle passe à l’action, que ce soit en infligeant des sanctions économiques à ses opposants, ou dans le pire scénario en utilisant la manière forte.

3.2.3Les facteurs sociaux

Comme cela a déjà été évoqué l’ASEAN est une association économique fortement hétérogène. Cette disparité est déjà source de discorde entre les états membres, mais les inégalités sont aussi visibles à un tout autre niveau : Il existe aussi une grande hétérogénéité au sein même des populations.

3.2.3.1L’inégalité des revenus facteur de troubles sociaux

Les politiques sociales des états de l’ASEAN sont quasi inexistantes. On y est beaucoup plus proche de l’état régalien que de l’état providence. Ceux-ci ont déjà pris conscience que l’augmentation du niveau de vie serait une arme à double tranchant. En effet le ciment de toute nation est la population qui la compose : si ce ciment se fissure, le pays plonge dans une crise sociale qui ne peut qu’avoir des effets néfastes à court voire à moyen et long termes sur l’économie. Lutter contre les inégalités est donc primordial pour assurer la stabilité interne. Un des premiers vecteurs pour limiter l’embrasement d’un pays est de modérer les écarts en termes de revenus et de répartition des richesses. Cet objectif peut être recherché de plusieurs manières : la première peut être une augmentation des salaires minimums distribués dans les entreprises mais dans ce cas le coût du travail devient plus fort et donc moins attractif, ce qui met en péril la compétitivité nationale. Il est donc bienvenu d’instaurer un système qui comme en occident taxera les revenus les plus hauts pour soutenir les revenus les plus faibles. On peut aussi mener une politique sociale visant à redistribuer les revenus. Un accroissement des revenus les plus faibles est nécessaire pour l’augmentation de la demande intérieure et par conséquent la baisse de la dépendance au commerce extérieur, sans oublier que la thésaurisation sur des revenus peu élevés est quasi nulle, ce qui par lien de causalité amène l’argent redistribué aux plus faibles revenus à être totalement dépensé et donc stimule plus l’économie que l’épargne de plus gros revenus. Ceci est à nuancer toutefois, car dans une économie ouverte, la redistribution peut avoir un impact mitigé sur la croissance nationale. En effet rien ne garantit que l’argent redistribué sera dépensé sur des produits nationaux. De plus et c’est là toute la complexité de la situation, les populations n’ont pas une confiance aveugle dans leurs gouvernements, car ils savent que la corruption y est grande70. Les citoyens préfèrent alors ne pas s’acquitter de leurs impôts par peur de les voir finir dans des poches où ils ne devraient pas être…ce qui empêche le système de se mettre en place de manière efficace. Régler le problème de corruption est vraiment le grand combat que doit mener l’ASEAN. Les états ont, ces dernières années, fait des progrès en la matière, mais il leur faut encore continuer dans ce sens.

3.2.3.2L’endiguement des libertés

Outre les inégalités économiques, il existe d’autres risques sociaux pesant sur l’ASEAN. Le manque de libertés, qu’elles soient bridées par des gouvernements laïcs ou religieux nuit gravement à la stabilité sociale. Singapour, par exemple, applique une politique intransigeante : toute entorse à une règle fait directement l’objet d’une amende (les infractions classiques étant comprises entre 180€ et 600€). La peine de mort est toujours en vigueur dans de nombreux états de l’ASEAN. De plus la liberté d’expression est bien souvent bafouée et censurée par le pouvoir en place qui n’accepte pas d’opposition.

L’actualité récente71 a montré au monde que les régimes despotiques trop inégalitaires et bafouant les libertés pouvaient chuter. L’ASEAN doit faire un effort sur ces terrains si elle veut éviter le pire.

3.2.3.3La diversité religieuse

La religion est très présente en Asie du sud-est : Islam, Bouddhisme, Hindouisme et Christianisme sont les quatre obédiences les plus représentées dans la zone. C’est une force inaliénable pour l’ensemble de l’ASEAN qui offre une richesse culturelle conséquente. Néanmoins, même si ces différentes religions réussissent à vivre en harmonie, de nombreux groupuscules de diverses religions se sont formés, et avec eux des tendances plus radicales sont apparues. L’Indonésie ou encore la Malaisie ont réussi aujourd’hui ce que les nations de l’occident n’ont jamais réussi à faire, c'est-à-dire réunir une grande pluralité de religions sans qu’aucun conflit majeur n’apparaisse. Cependant la montée de tout groupe extrémiste doit être fermement combattue pour que ce succès perdure.

Conclusion

Malgré une intégration régionale croissante, l’ASEAN a encore du mal à vraiment fédérer autour d’elle. Pour le moment esseulée en tant que réel bloc de pays, l’ASEAN pourrait toutefois se rapprocher des autres accords plurilatéraux de la zone déjà en vigueur. Cela éviterait que ses membres fassent cavalier seul et négocient des accords à titre individuel. Il est vrai que l’écart énorme régnant entre les différentes économies de la zone est sûrement pour beaucoup dans ces disparités. Cependant en vue d’une intégration régionale complète, l’ASEAN a tout intérêt à renforcer ses liens avec les autres états de la zone.

Les crises ayant déjà frappé les pays émergents ont mis en exergue plusieurs variables importantes. D’une part, un pays entièrement basé sur l’exportation est très vulnérable, autant par une diminution de ses avantages concurrentiels que par une baisse de la demande globale. Les pays ayant un modèle économique plus basé sur une demande domestique auront tendance à être certes moins performants en période économique faste, mais montreront une résilience plus grande en cas de mauvaise conjoncture mondiale. D’autre part, une forte croissance n’est pas synonyme d’efficacité industrielle et lors des diverses crises que nous avons analysées, la performance et la rentabilité des industries ont systématiquement été mises en cause, alors qu’elles apparaissaient comme les fers de lance d’économies affichant des taux de croissance démesurés. Ces industries ont chuté aux premiers signes de diminution de leurs avantages concurrentiels, ainsi que face à l’érosion d’un système bancaire trop utilisé comme seule source de financement.

L’ASEAN a su tirer leçon de ses erreurs, aujourd’hui son économie est plus saine et l’intégration de chaque état a été renforcée. Sur un plan régional l’ASEAN, la Chine et l’Inde apparaissent comme les moteurs de toute la zone Asie. L’ASEAN a fait un choix visible sur la dernière décennie qui est d’accroître les échanges régionaux tout en réduisant la valeur relative des exportations en Europe ou aux Etats-Unis. L’augmentation des échanges au sein de cette zone est de bon augure car elle permet une plus grande résilience en cas de dégradation des exportations à direction des grandes puissances économiques. En revanche cela renforce la dépendance à la demande asiatique (hors Japon). La Chine apparaît certes en meilleure forme que les pays de la triade, mais la part de sa consommation finale comparée au PIB est très faible par rapport aux autres pays asiatiques72, ce qui la rend très dépendante de ses exportations. Alors oui, l’ASEAN peut résister à un ralentissement de la croissance voire à une faible récession de la triade, en compensant ses pertes de marché sur d’autres plus dynamiques. Mais une crise qui viendrait impacter fortement et durablement les grandes puissances économiques stopperait toutefois l’émergence de l’ASEAN. N’oublions pas que la reprise de 2010 n’a été due qu’à un retour progressif à la normale de la demande des grandes puissances économiques. En cas de non retour de la demande, l’ASEAN devrait transférer son offre soit sur son marché intérieur soit sur celui d’autres pays, et il y à fort à parier pour que les autres pays émergents cherchent à faire de même, rendant la concurrence encore plus féroce. L’ASEAN n’est pas assez mature, économiquement comme politiquement, pour pallier totalement à une importante chute de la consommation de plus de 850 millions d’américains et européens et ainsi, résister à un fort déclin des grandes puissances économiques.

Les prévisions de croissance pour les pays de l’ASEAN sont pour l’instant dans le même créneau, mais l’Indonésie possède aujourd’hui une démographie suffisante pour pouvoir décorréler fortement sa croissance de la demande extérieure73. On peut imaginer qu’une économie montrant une résilience supérieure aux autres face aux aléas économiques tout en étant le moteur de la zone risque d’être tentée de quitter le navire ou du moins d’imposer son leadership aux autres pays membres. Les craintes originelles de la Malaisie et de Singapour étaient d’ailleurs de voir un jour l’Indonésie faire cavalier seul. L’avenir de l’intégration de l’ASEAN va se jouer sur plusieurs points majeurs, le premier sera sa capacité à évoluer vers des industries à plus grande valeur ajoutée au fur et à mesure que ses avantages concurrentiels se réduisent, tout en limitant l’exil de ses cerveaux qui pourraient être tentés d’aller chercher de meilleure rémunération ailleurs. Cependant cette transition déjà tentée par le passé doit cette fois ci s’effectuer d’une meilleure manière, notamment en améliorant le système scolaire pour permettre la formation d’ingénieur de haut niveau. Le second point sera de maintenir et resserrer les liens entre les différents états membres, guérir les blessures du passé et tenter d’effacer ou du moins apaiser les querelles millénaires entre les peuples. L’homogénéisation économique et politique de l’association est primordiale pour sa survie notamment en cas de crise. Le troisième point sera de réussir à transformer petit à petit cet immense réservoir démographique en source de croissance durable pour que celle-ci soit moins liée aux exportations et stimulée fortement par une demande intérieure accrue. Un état plus « providence » pourrait aider à injecter de l’argent dans les revenus les plus faibles. Le secteur tertiaire reste encore à construire et cela sera générateur d’emploi. Pour tout cela l’ASEAN doit faire changer les mentalités et surtout soutenir ses populations, qui manquent parfois cruellement d’éducation dans les zones les plus reculées. Les états devront être attentifs à ne pas attiser la colère des populations, le XXIème siècle a déjà vu nombre de révoltes faire tomber les pouvoirs en place, cela aurait un effet dévastateur pour le, ou les états concernés. L’impact au niveau de la zone dépendrait du pays impliqué : la chute de l’Indonésie pourrait faire imploser la zone alors que la chute du Laos aurait un impact limité. Le quatrième, et dernier point, l’ASEAN : doit consolider le plus possible les liens au sein de son alliance économique. A long terme la possibilité d’une monnaie unique serait envisageable, mais cela passera obligatoirement par une homogénéisation des états membres et de leur politique économique. A l’heure actuelle le gouffre qui sépare le Laos de Singapour est bien trop grand pour qu’un tel projet soit viable.

L’ASEAN, à l’instar de la construction de l’union européenne, s’est faite par étapes en réussissant à regrouper des pays de cultures différentes voire des ennemis séculaires, dans un but de survie face aux hyper-puissances d’alors. Aujourd’hui, l’intégration de l’ASEAN dépend des réponses politiques et économiques des gouvernements de ses pays aux défis posés par le ralentissement de l’économie mondiale, l’émergence d’une nouvelle hyper puissance et l’arrivée de nouveaux concurrents.

 

1 GATT: General agreement on tariffs and trade. Ratifié le 30 octobre 1947 par 23 pays, il s’agit d’un accord multilatéral de libre échange. Son objectif est de baisser les prix pour les consommateurs, en utilisant au mieux les facteurs de productions et en favorisant l’emploi dans les secteurs où les pays détiennent un avantage comparatif.

 

 

2 Wikipedia :Gross world product

 

 

3 World bank : Gross domestic product 2010

 

 

4 Wikipedia : Gross world product

 

 

5 Annexe : I) La situation géographique de l’ASEAN

 

 

6 UNESCAP: Asian-Pacific trade and investment report 2011

 

 

7 Annexe : II) L’ASEAN un espace hétérogène

 

 

8 TESTARD Hubert : La dynamique d’intégration de l’ASEAN

 

 

9 Annexe : XVII) Exportations et importations en pourcentage du PIB sur la période 2007-2011

 

 

10 TESTARD Hubert : La dynamique d’intégration de l’ASEAN

 

 

11 Annexe : VI) Exportations/Importations de l’ASEAN 5, comparaison 2000/2010

 

 

12 TESTARD Hubert : La dynamique d’intégration de l’ASEAN

 

 

13 UNESCAP : Post-crisis trade and investment opportunities

 

 

14 Annexe : IV) Asia-Pasific noodle bowl (bol de nouilles)

 

 

15 TESTARD Hubert : La dynamique d’intégration de l’ASEAN

 

 

16 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

17 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

18 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

19 Accord de SWAP : Le swap correspond à l’échange de deux entités pendant une certaine période de temps. Ils peuvent porter sur des actifs ou des flux financiers. Cependant le terme, dans le langage courant, tant plus à viser l’échanger de flux financier (devises, taux…).

 

 

20 FIGUIERE Catherine et GUILHOT Laëtitia : l’Asie d’une crise à l’autre

 

 

21 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

22 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

23 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

24 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

25 Service économique régional et BORDES Gilles : Etat des lieux de l’intégration financière de l’ASEAN

 

 

26 Annexe : VIII) Taux d’intérêts sur les prêts aux consommateurs période 1982-1986

 

 

27 Annexe : V) Variation des PIB de la France, de l’Allemagne, et du Royaume-Uni

 

 

28 Annexe : XVII) Exportations et importations en pourcentage du PIB sur la période 2007-2011

 

 

 

29 Economist intelligence unit : Country profile Japan

 

 

30 Economist intelligence unit : Country profile Japan

 

 

31 George FRIEDMAN :100 years, chapter : China 2020

 

 

32 Trading economics : Countries GDP data

 

 

33 Trading economics : Countries GDP data

 

 

34 Partie 2 : 2.1) La crise japonaise premier signe d’instabilité régional

 

 

35 Annexe : XI) Variation du taux de change de devises de l’ASEAN sur le dollar américain
période 1990-2012

 

 

36 XI) Variation du taux de change de devises de l’ASEAN sur le dollar
période 1990-2012

 

 

37 VUILLEMEY Guillaume : Crise et résilience : les leçons du grand accident asiatiques de 1997

 

 

38 XI) Variation du taux de change de devises de l’ASEAN sur le dollar américain période 1990-2012

 

 

39 VUILLEMEY Guillaume : Crise et résilience : les leçons du grand accident asiatiques de 1997

 

 

40 ANDERSSON Thomas et AVERY Peter : La crise industrielle en Asie : ce qui c’est réellement passé

 

 

41  ANDERSSON Thomas et AVERY Peter : La crise industrielle en Asie : ce qui c’est réellement passé

 

 

42 Annexe : X) Taux de croissance de 4 pays membres de l’ASEAN et de la Chine

période 1995-2010

 

 

43 Partie 1 : 1.2) L’intégration monétaire et financière de l’ASEAN+3

 

 

44 X) Annexe : Taux de croissance de 4 pays membres de l’ASEAN et de la Chine

période 1995-2010

 

 

45 Annexe : V) Variation des PIB de la France, de l’Allemagne

et du Royaume-Uni, période 2008-2010

 

 

46 Annexe : XVIII) Consommation finale en pourcentage du PIB sur la période 2008-2010

 

 

47 Annexe : X) Taux de croissance de 4 pays membres de l’ASEAN et de la Chine

période 1995-2010

 

 

48 Annexe : VII) Provenance des IDE de l’ASEAN

 

 

49 George FRIEDMAN :100 years, chapter : China 2020

 

 

50 Trading economics : Countries data

 

 

51 Trading economics : Countries data

 

 

52 Trading economics : Countries data

 

 

53 Trading economics : Countries data

 

 

54 The Economist :The world in 2012

 

 

55 Annexe : XIII) Le coût du travail en ASEAN et en Chine

 

 

56 The Economist :The world in 2012

 

 

57 The Economist :The world in 2012

 

 

58 The Economist :The world in 2012

 

 

59 Annexe : XIII) Le coût du travail en ASEAN et en Chine

 

 

60 REINHART Carmen et RENHART Raymond Vincent : Quel est le pire pour les marchés émergents : la volatilité des taux de change ou celle des taux d’intérêts ?

 

 

61 Annexe : IX) Taux directeur 2012 des banques de centrales de pays de l’ASEAN

et de leurs principaux partenaires commerciaux

 

 

62 Annexe: XII) Le principe du Tax Shield

 

 

63 George FRIEDMAN :100 years, chapter : China 2020

 

 

64 Annexe : VI) Exportations/Importations de l’ASEAN 5,

comparaison 2000/2010

 

65 Annexe : XIV) Corrélation des indices boursiers entre des pays membres

de l’ASEAN et des grandes puissances économiques

 

66 Annexe : III) Les trois forces de développements asiatiques

 

67 TESTARD Hubert : La dynamique d’intégration de l’ASEAN

 

68 Annexe : XV) Carte de la mer du sud et du détroit de Malacca I et II

 

69 Annexe : XV) Carte de la mer du sud et du détroit de Malacca I et II

 

70 Annexe : XVI) Carte indice de corruption

 

71 Les révolutions du printemps Arabe

 

72 Annexe : XVIII) Consommation finale en pourcentage du PIB sur la période 2008-2010

 

73 Le monde : L’Indonésie résiste mieux que ses voisins à la crise

 

Auteur de l'article :

Benoist Rousseau est diplômé de l'université Paris-Sorbonne en histoire économique contemporaine et de la Certification Professionnelle des Acteurs des Marchés Financiers de l'AMF. Il a été professeur d'histoire pendant 12 ans avant de devenir trader en compte propre. Ancien Conseiller en Investissements Financiers, il est aussi écrivain. Son ouvrage "Devenez Trader Pro" est numéro 1 des ventes dans la catégorie bourse depuis de nombreux mois. Intervenant régulier sur TV Finance et divers médias, il est suivi par plus de 150.000 personnes sur les réseaux sociaux.

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Avertissement : La négociation sur instruments financiers à effet de levier peut vous exposer à des risques de pertes supérieures aux dépôts et ne convient qu'à une clientèle avisée ayant les moyens financiers de supporter un tel risque. Les transactions sur instruments de change (forex) et contrats sur différence (CFD) sont hautement spéculatives et particulièrement complexes et s’accompagnent d’un niveau de risque élevé en raison de l’effet de levier. Vous devez vous assurer que vous comprenez comment ces instruments fonctionnent et que vous pouvez vous permettre de prendre le risque élevé de perdre votre argent. Les vidéos et les articles de ce site n’ont qu’une portée pédagogique et informative, ce ne sont pas des conseils en investissement ni une incitation quelconque à acheter ou vendre des instruments financiers. Tout investisseur doit se faire son propre jugement avant d'investir dans un produit financier afin qu'il soit adapté à sa situation financière, fiscale et légale.